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SÉNANCOUR.

avec l’infinie quantité de leurs infiniment petits mouvements n’arriveront jamais à introduire la moindre résultante appréciable dans la loi des destinées sociales et humaines[1].

C’est en Bretagne, à Saint-Malo, au mois de juin 1782, que naquit, d’une famille d’armateurs et de négociants, Félicité-Robert de La Mennais : cette famille Robert venait d’être anoblie (sous Louis XVI, je crois) pour avoir nourri à grands frais la population dans une disette. Sa première enfance jusqu’à huit ans fut extrêmement vive et pétulante, il mettait en émoi tous ses camarades du même âge par ses malices, ses saillies et ses jeux. Ses maîtres à l’école ne savaient comment le maintenir tranquille sur son banc, et on ne trouva un jour d’autre moyen que de lui attacher avec une corde à la ceinture un poids de tournebroche. Vers huit ou neuf ans, cette perpétuelle activité se tourna en entier du côté de l’étude, de la lecture et de la piété. Il commença de s’appliquer au latin, mais bientôt les événements de la Révolution le privèrent de maîtres ; il était à peine capable de sixième ; son frère, un peu plus avancé que lui, le guida pendant quelques mois et le mit presque tout de suite aux Annales de Tive-Live. Après quoi le jeune Félicité ou Féli, comme on disait par abréviation[2], livré à lui-même et altéré de savoir, lut, tra-

  1. « Oui, de petits mérites qui se promènent dans de grandes vanités, » me disait-il un jour en causant de ces hommes.
  2. Ses disciples entre eux l’appellent encore maintenant M. Féli. — (Voir au tome xxxiv, page 370, du Correspondant, recueil périodique, à la date du 25 juin 1854, un article intéressant sur ces premières années de M. de La Mennais.)