Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/21

Cette page a été validée par deux contributeurs.
13
CHATEAUBRIAND.

ment dessinée ; sauf quelques brusques détails, la ligne entière du monument était appréciée et applaudie. Littérairement, il n’y avait qu’une voix pour saluer le fondateur, parmi nous, de la poésie d’imagination, le seul dont la parole ne pâlissait pas dans l’éclair d’Austerlitz. Après le XVIIIe siècle, qui est en général sec, analytique, incolore ; après Jean-Jacques, qui fait une glorieuse exception, mais qui manque souvent d’un certain velouté et d’épanouissement ; après Bernardin de Saint-Pierre, qui a bien de la mollesse, mais de la monotonie dans la couleur, M. de Chateaubriand est venu, remontant à la phrase sévère, à la forme cadencée du pur Louis XIV, et y versant les richesses d’un monde nouveau, les études du monde antique. Il y a du Sophocle et du Bossuet dans son innovation, en même temps que le génie vierge du Meschacebé : Chactas a lu Job et a visité le grand Roi. On a comparé heureusement ce style aux blanches colonnes de Palmyre : ce sont en effet des fûts de style grec, mais avec les lianes des grands déserts pour chapiteaux. Et puis, comme dans le Louis XIV, un fonds de droit sens mêlé même au faste, de la mesure et de la proportion dans la grandeur. En osant la métaphore comme jamais on ne l’avait fait en français avant lui, M. de Chateaubriand ne s’y livre pas avec profusion, avec étourdissement ; il est sobre dans son audace ; sa parole, une fois l’image lancée, vient se retremper droit à la pensée principale, et il ne s’amuse pas aux ciselures ni aux moindres ornements. Le fond de son dessin est d’ordinaire vaste et distinct, les bois, la mer retentis-