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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

tianisme remplit l’horizon de ses subites clartés[1]. Cet incomparable succès, au début, conféra à M. de Chateaubriand un caractère public, comme écrivain ; sa triple influence, religieuse, poétique et monarchique, commença dès lors. Toute sa destinée ultérieure dut se dérouler sous cette majestueuse inauguration et à partir de cette colonne milliaire que surmontait une croix. La religion, la poésie, la monarchie, durant ces trente années, dominèrent, chacune plus ou moins, selon les circonstances, dans cette vie qui marcha comme un long poëme. Mais il y eut bien des inégalités nécessaires et des interruptions qui furent peu comprises des esprits prosaïques et soi-disant positifs. Cette dévotion éloquente, cette invocation au christianisme du sein d’une carrière d’honneurs, de combats politiques ou de plaisirs, cette rêverie sauvage, cette mélancolie éternelle de René se reproduisant au sortir des guirlandes et des pompes, ces cris fréquents de liberté, de jeunesse et d’avenir, dans la même bouche que la magnificence chevaleresque et le rituel antique des rois, c’en était plus qu’il ne fallait pour déconcerter d’honnêtes intelligences qui chercheraient difficilement en elles la solution d’un de ces problèmes, et qui prouveraient volontiers, d’après leur propre exemple, que l’esprit est matière, puisqu’il n’y tient jamais qu’une seule chose à la fois. Depuis quelques années pourtant, l’unité de cette belle vie de M. de Chateaubriand s’était suffisam-

  1. Les dates précises sont : Atala, 1801 ; Génie du Christianisme,1802.