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présentes et vives dans son cœur. La philosophie de M. Cousin, alors dans sa nouveauté, occupait ces jeunes esprits ; les grands problèmes de la destinée humaine étaient leur passion ; Ossian, Byron, le songe de Jean-Paul, les partageaient tumultueusement. Ils suivaient les cours à Paris durant l’hiver ; puis l’été les dispersait aux champs, et ils s’écrivaient. La lecture d’Oberman, quand ce livre leur tomba par hasard dans les mains, fit sur eux l’impression qu’on peut croire ; cette mélancolie austère et désabusée devint un moment comme la base de leur vie ; la philosophie platonicienne eut tort ; Jules Bastide fut celui peut-être qui se pénétra le plus profondément de cette âpre et stoïque nourriture. Ses lettres, pleines d’éloquence et de vertueuse tristesse, ont souvent des pages dignes d’Oberman ; l’inspiration grandiose est la même, et il le cite à tout moment. Lorsque Ampère va en Suisse, Bastide, resté au Limodin en Brie, lui écrit en ces termes : « Mon ami, tu es donc à Vevay. Tu as vu Clarens, Meillerie, Chillon. Tout cela doit te paraître un songe. Tu as vu la lune monter sur le Velan ! » Et ailleurs : « Je dois aller faire un petit voyage à Fontainebleau. Ainsi nous aurons parcouru à nous deux tous les lieux visités par Oberman. Si alors tu étais encore en Suisse, j’aurais du plaisir à contempler la lune à travers les clairières de Valvin, pendant que tu la verrais sur les glaciers. Nous nous réunirons tous ensuite au Limodin, et nous nous raconterons nos voyages et nos plaisirs… Pourquoi faut-il que nous soyons si éloignés ? que les jours sont longs ! que les