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pour les faire reconnaître : mais tout lecteur digne d’Oberman n’aura besoin de guide autre que lui-même, dès qu’il s’y sera plongé.

Dans la seconde partie de l’ouvrage, qui semble séparée de la première par un intervalle de plusieurs années, Oberman, âgé de vingt-sept ans, traverse la crise antérieure à toute maturité, et double, pour ainsi dire, le cap périlleux de la vie. Les idées de suicide lui reviennent en ce moment et l’obsèdent sous un aspect plus froid mais non moins sinistre, non plus avec la frénésie d’un désespoir aigu, mais sous le déguisement de l’indifférence : il en triomphe pourtant ; il devient plus calme, plus capable de cette régulière stabilité qui n’est pas le bonheur au fond, mais qui le simule à la longue, même à nos propres yeux. L’amitié l’apprivoise ; le désir d’une estime honorable parmi les hommes le trouve accessible à ses justes douceurs. Son regard sur les choses est moins navrant ; il tolère la destinée et ressent désormais de la satisfaction à consigner par écrit les pensées qu’elle lui suggère. L’inquiétude gronde encore sans doute dans son cœur, mais elle diminue, mais elle s’endormira ; on comprend qu’Oberman doit vivre et que son front surgira à la sereine lumière.

L’auteur des Libres Méditations y touche en effet, et si, comme nous aimons à le croire, il a dit là son dernier mot, le progrès philosophique le plus avancé qui se pût déduire des Rêveries et d’Oberman est visiblement accompli. L’identité de l’œuvre subsiste sous cet achèvement harmonieux ; la chaîne a tenu jusqu’au