Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/170

Cette page a été validée par deux contributeurs.

versé, et s’est pris à chaque attrait sans s’arrêter à aucun. De cette souplesse, de cette facilité dans la vie, ont dû ressortir pour le talent une expansion croissante, une capricieuse dextérité, des replis sinueux sur une circonférence infinie, toutes les modulations murmurantes des roseaux, toutes les changeantes nuances du prisme, l’émail des prairies inclinées ou les reflets des ailes des coléoptères. Son plein automne aujourd’hui est riche à tous les yeux, séduisant à voir, et chacun l’aime. L’auteur d’Oberman s’est de bonne heure fermé et fixé ; immobile devant l’ensemble des choses, les embrassant dans leur étendue sans jamais les entamer par leurs détails, incapable de s’ingénier, de s’orienter dans la cohue, exigeant avant tout, et pour user de ses moyens, qu’on l’isole et qu’on le pose, nature essentiellement méditative, il a surtout visé au juste et au vrai ; renonçant au point de vue habituel, il a dépouillé l’astre, pour le mieux observer, de ses rayons et de sa splendeur ; il s’est consacré avec une rigueur presque ascétique à la recherche du solide et du permanent. Chaque écrivain a son mot de prédilection, qui revient fréquemment dans le discours et qui trahit par mégarde, chez celui qui l’emploie, un vœu secret ou un faible. On a remarqué que madame de Staël prodiguait la vie ; elle-même a remarqué que M. de Guibert, dans son discours de réception à l’Académie, répéta, je ne sais combien de fois, le mot de gloire. Tel grand poëte épanche sans relâche l’harmonie et les flots ; tel autre, à l’étroit dans cette civilisation étouffante, ne peut s’empêcher de remonter à une scène héroïque et au