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M. DE SÉNANCOUR.

1832.

Nous vivons dans un temps où la publicité met un tel empressement à s’emparer de toutes choses, où la curiosité est si indiscrète, la raillerie si vigilante, et l’éloge si turbulent, qu’il semble à peu près impossible que rien de grand ou de remarquable passe désormais dans l’oubli. Chaque matin une infinité de filets sont jetés en tous sens à travers les issues du courant, et remplacent ceux de la veille, qu’on retire humides et chargés. C’est, à une certaine heure de réveil, un bruit confus, un mouvement universel de ces filets qu’on retire à l’envi, et de ces filets qui tombent. Pas un instant d’intervalle, pas une ligne d’interstice, pas une maille brisée dans ce réseau : tout s’y prend, tout y reste, le gros, le médiocre, et jusqu’au plus menu ; tout est saisi à la fois ou tour à tour, et comparaît à la surface. On peut trouver à redire au pêle-mêle, désirer plus de discernement dans cette pêche miraculeuse de chaque matin, demander trêve pour les plus jeunes, qui ont besoin d’attendre et de grandir, pour les plus mûrs, dont cette impatience puérile interrompt souvent la lenteur fécondante ; mais enfin il semble qu’au prix