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BÉRANGER

drait deux ou trois mois pour mettre à fin des pièces commencées ou projetées qui, avec ce que j’ai déjà, seraient un troisième volume à ajouter à Joseph Delorme et aux Consolations, volume que je ne publierai pas quand il sera achevé, mais qui alors me laissera libre pour quelque autre essai poétique. Au fond, voyez-vous, c’est là ma prédilection secrète, mon courant caché ; et quand toutes mes digressions dans les bouquins me fournissent jour à un sonnet neuf, à un mot à bien encadrer, à un trait heureux dont j’accompagne un sentiment intime, je m’estime assez payé de ma peine ; et, en refermant mon tiroir à élégies, je me dis que cela vaut mieux après tout que tous les gros livres d’érudition, lesquels je veux pourtant faire de plus en plus profession d’estimer. — Mais, il faut en venir, mon cher Béranger, à l’objet de cette lettre. Un de mes bons amis, M. Piccolos, Grec de mérite, avec qui j’ai été vous visiter à la Force en 1829, a traduit grand nombre de vos chansons en grec moderne (il est à Bucharest actuellement, où il a rendu de grands services comme médecin et dans l’instruction publique) ; il voudrait publier son recueil de traductions avec toutes les notes d’un érudit minutieux. À propos de l’ode à Chateaubriand, il désirerait avoir la traduction en vers latins qu’en a faite un jeune homme dans le temps, la lettre du père de ce jeune homme à vous, et votre réponse. Tout à Bucharest qu’il est, il tient à ces détails comme un commentateur du Bas-Empire, et avec cela c’est un patriote grec de la Renaissance. Vous seul pouvez le satisfaire, s’il y a lieu. Si vous m’envoyez ces vers, je les copierai et vous renverrai le texte ; quant aux lettres, n’ont-elles pas été imprimées ? Et où, et quand ? — Adieu, mon cher Béranger, croyez à mes sentiments de profond et inviolable attachement et respect,

« Sainte-Beuve.
« Ce 3 septembre 1835. »


« P. S. Leroux, que j’ai rencontré l’autre jour, est dans une situation toujours bien grevée : de son travail, vous en pouvez juger par les excellents articles de l’Encyclopédie, mais sa situation personnelle empire plutôt. Reynaud voyage en Bretagne. »


Mes relations avec Béranger avaient, quoi qu’il en soit, reçu une atteinte. Elles se ralentirent peu à peu. J’y mis tous les intervalles et toutes les quarantaines convenables ; mais,