Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/133

Cette page a été validée par deux contributeurs.
125
BÉRANGER

inconstant et un peu sensuel dans sa tendresse en est resté à la bonne vieille mode de nos aïeux, à la mode de ma Mie et du bon roi Henri, avant la nouvelle Héloïse et Werther. Je reconnais, dans sa Lisette, la petite-fille de Manon, ou de cette Claudine que courtisa La Fontaine[1]. Quant au dieu de Béranger, c’est un dieu indulgent, facile, laissant beaucoup dire, souriant

  1. Lisette, au reste, existait sous ce nom-là depuis bien du temps ; elle figure chez Chaulieu à la fin des Stances sur Fontenay. Dans le Mercure de France de juin 1780, sous le titre de Lisette ou les Amours des Bonnes gens, par M. D…, avocat au parlement de Rennes, on lit une pièce légère qui, sauf la prolixité et le peu de rhythme, est toute voisine de la chanson de Béranger par le tour et les idées :

    Sur la toilette
    De ma Lisette
    Vous trouverez
    Simples fleurettes ;
    Point n’y verrez
    De fard, d’aigrettes.
    Léger jupon, etc.

    Nos bons aïeux, les trouvères, ont fait maintes chansons qui, sauf le vieux langage, pourraient être de Béranger par le ton et aussi par la forme. J’en veux indiquer une qui me semble exactement dans ce cas (Man. de la Biblioth. du roi, no 2719, La Vallière) :

    L’autre jour en un jardin
    M’en aloie esbanoit,
    Un poi de fors un vergier
    Trouvai Rousète séant
    Si plésant
    C’onques de biauté si grant, etc.

    Cette Rousète, qui signifie un peu moins que Lisette ou même que Frétillon, est dans son genre un petit chef-d’œuvre, de ceux pourtant que je n’oserais transcrire. Elle pourrait entrer dans le recueil à part de Béranger, tout à la suite du Grand Marcheur.