Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/120

Cette page a été validée par deux contributeurs.
112
PORTRAITS CONTEMPORAINS.


Cela, je crois, te rappela Clovis,
Et tu rêvas de classique épopée,
Toi, fils de l’hymne et de la Ménippée !
Ainsi, sans guide et vers des buts lointains,
Chemin faisant, accosté de Lisette,
Entre Clovis et les amours mutins,
Par complaisance égayant la musette,
Génie heureux, facile aux contre-temps,
Tu te cherchais encore après trente ans ;
Tu te cherchais… quand la France foulée
Te laissa voir deux fois dans la mêlée
Ce sein de feu que Thersite conquit !
Tout était mûr ; les astres s’entendirent ;
Des cieux brûlants quelques pleurs descendirent,
Lente rosée,… et ta chanson naquit !

Elle naquit, abeille au fin corsage,
À l’aiguillon toujours gardien du miel ;
Des bruits épars composant un message,
Orgueil du pauvre et vengeance du sage :
Sots et méchants le trouvèrent cruel.
Près du drapeau que dans l’ombre on replie,
Au fond du verre où l’infortune oublie,
Autour du punch et des jeunes gaîtés,
Même au cou nu des folâtres beautés,
Oh ! oui, partout où l’aile bigarrée
De la chanson diligente et sacrée
Se pose et luit, oh ! notre France est là…
France d’alors, chantant sous le tonnerre
Plus d’un refrain qui depuis s’envola,
Vive et rétive, assez peu doctrinaire,
Encore en sang des caresses des rois ;
Oui, cette France est toute dans ta voix.
Durant quinze ans, unis d’un même zèle,
Seul, vers la fin, pour sauver l’étincelle,
À chaque avril, aux champs, sous les barreaux,