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BÉRANGER.

sions, assez vagabondes en apparence, à une prophétique pensée d’avenir. On a essayé dans les vers suivants, qui lui sont adressés, de faire saillir cette loi progressive de son génie, et de montrer en même temps combien toutes choses sur la scène du monde étaient disposées pour sa venue. Ce n’est jamais dans la période impétueuse, au début ni au milieu des commotions publiques, que chante le poëte dont l’époque saluera la voix ; c’est plutôt au déclin, aux environs des dernières crises, quand la force sociale s’arrête de lassitude, fait trêve à son tumulte et s’entend gémir. L’air est vibrant au loin et embrasé, mille feux s’y croisent : ce qui flotte alors et pèse sur tous décharge son étincelle sur un seul ; les derniers coups de l’orage allument une âme !

L’être complet dans la nature immense.
Le germe heureux, fils de l’onde ou des airs,
Tout fruit parfait béni dans sa semence,
Le gland du chêne, ou la perle des mers,
Petit ou grand, est cher à l’univers.
Pour qu’il surgisse et que son jour commence,
La terre exprès tourne les éléments ;
Le temps n’est rien ; lenteurs, avortements,
Par où la vie à lui seul se prépare,
Ne coûtent pas à la nature avare.
L’Esprit caché dont elle suit les lois,
Tout en marquant mille buts à la fois,
Veut sur un point faire briller l’ouvrage.
Souvent, souvent, au décours d’un orage,
Le vœu qui rit à l’éternel dessein,
C’est qu’emportant l’étamine volage
Zéphire ému mène à bien son larcin ;