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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

sans intervention de fausse mythologie. J’ai lu en grande partie un poëme idyllique de lui, en quatre chants, intitulé le Pèlerinage, et conçu dans cette pensée. Je n’affirmerai pas que le poëte ait réussi à faire un tout suffisamment intéressant et neuf ; mais l’intention générale et parfois le bonheur des détails sont manifestes. La Courtisane, idylle d’environ cent trente vers, exprime avec sentiment, naïveté et élégance, les remords et les larmes d’une villageoise pervertie qui revient un moment visiter les campagnes natales et qui voit de loin fumer le toit de la chaumière maternelle. On pourrait donner toute cette Courtisane sans en changer un vers, et elle ne ferait pas honte à ses cadettes de haute renommée. Un académicien-poëte, à qui Béranger, encore inconnu, parlait un jour de ses idylles et du soin qu’il y prenait de nommer chaque objet par son nom sans le secours de la Fable, lui objectait : « Mais la mer, par exemple, la mer, comment direz-vous ? — Je dirai tout simplement la mer. — Eh quoi ! reprit l’académicien qui n’en revenait pas, Neptune, Thétis, Amphitrite, Nérée, de gaieté de cœur vous vous retranchez tout cela ? — Effectivement, » ajouta Béranger[1].

  1. Rendant compte dans le Publiciste de l’Almanach des Muses de l’an XIV (1806), Mlle de Meulan (depuis Mme Guizot) distingue et cite au long une idylle intitulée Glycère, et signée Béranger, dont elle trouve le ton naturel et l’idée touchante. Il est piquant que le premier éloge donné au talent de Béranger (car ce ne peut être que lui) vienne de ce côté. Voici l’idylle citée dans l’article :