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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

bitieuses et intrigantes. Mais, ayant lu avec soin Molière, il renonça, par respect pour ce grand maître, à un genre d’une si accablante difficulté. Molière et La Fontaine faisaient sa perpétuelle étude ; il savourait leurs moindres détails d’observation, de vers, de style, et arrivait par eux à se deviner, à se sentir. Ainsi, en renonçant au théâtre, dès vingt ans il se dit : « Tu es un homme de style, toi, et non dramatique. » On verra pourtant qu’il garda jusqu’au bout et introduisit dans sa chanson quelque chose de la forme du drame. Le théâtre mis de côté, la satire, qui lui traversa l’esprit un moment, repoussée comme âcre et odieuse, il prit une grande et solennelle détermination : c’était de composer un poëme épique, un Clovis. Il devait en préparer à loisir les matériaux, approfondir les caractères des personnages, de Clotilde, de saint Remi, mûrir les combinaisons principales : quant à l’exécution proprement dite, il l’ajournait jusqu’à trente ans. Cependant des malheurs privés, déjà survenus, contrastaient amèrement avec les grandioses perspectives du jeune homme. Après dix-huit mois environ de pleine prospérité, Béranger avait connu le dénûment et la misère. Il y eut là pour lui quelques années de rude épreuve. Il songea un moment à la vie active, aux voyages, à l’expatriation sur la terre d’Égypte, qui n’était pas abandonnée encore : un membre de la grande expédition, qui en était revenu deux ans auparavant[1], le détourna de cette idée. La jeunesse pourtant, cette puis-

  1. M. Parseval-Grandmaison.