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PORT-ROYAL.

et on y lit les angoisses intérieures, dans lesquelles sans cesse il se repent et se gourmande. Tillemont s’inquiétait lui-même devant Dieu, avec d’autant plus de scrupule qu’ayant été purement élevé, il croyait qu’il lui était demandé d’aimer davantage ; les tiédeurs lui paraissaient plus graves , à qui devait n’avoir qu’une plus ardente reconnaissance :

« Notre cœur, se disait-il ((^ans les Réflexions chrétiennes qu’on a de lui), notre cœur ne peut être sans aimer ; et quand il le pourroit, il ne le devroit pas vouloir, puisqu’être sans amour, c’est être sans chaleur, sans ardeur, sans action, sans mouvement, en un mot sans vie ; c’est n’être pas un homme, mais une pierre. Il faut donc aimer, et nous ne pouvons aimer que le Créateur ou la créature.... Nous concevons aisément que c’est une vanité aux Philosophes de s’appliquer à considérer simplement les créatures, à en chercher les secrets, à examiner comment toutes les choses se font.... Mais n’est-ce pas tomber dans la même vanité de travailler beaucoup pour connoître les choses saintes, les actions des Saints, l’histoire de l’Église, sa discipline, sa doctrine môme et sur les mystères et sur les mœurs, si l’on s’arrête à cette connoissance sans passer au fruit ?... Mon Dieu, plus je me sens foible à éviter cet abus, plus j’ai recours à votre miséricorde toute-puissante. Éloignez de moi l’esprit do curiosité.... Que les désirs de mon cœur ne tendent qu’à vous ; et s’il faut que mon esprit s’applique à d’autres choses, parce qu’il est trop foible pour ne s’occuper que de vous, que je me plaigne et que je m’humilie de mon malheur, comme un homme à qui le Prince donneroit le soin de ses bâtiments^ parce qu’il ne serait pas capable des affaires plus importantes de VÉtat. Que je m’occupe donc à mon travail avec humilité, ou plutôt avec confusion, comme à la pénitence que j’ai mérilée !... Si je ne m’appliquois à l’étude qu’en cette manière, elle n’enfleroit point mon esprit, elle ne sècheroit point mon cœur ; je serois toujours disposé à la quitter pour prendre des lectures encore plus saintes, et pour me présenter devant vous dans la prière ; je n’étendrais point insensiblement et sans divers prétextes le temps de Véiude, pour diminuer par dégoût le temps dû à d’autres emplois.