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LIVRE QUATRIÈME.

lui paraissaient, après tout, peu de chose, en comparaison de deux diamants qu’il se figurait aussi gros que les tours de Notre-Dame. Par cette sorte d’admiration en bloc et une fois pour toutes, M. de Saci se dispensait ingénieusement de toutes les petites admirations de détail. Et il ne faut pas s’étonner, ajoute Du Fossé, s’il tenait un tel langage, ayant appris de saint Jean, dans la description de la Céleste Jérusalem, qu’elle était d’or pur, que sa muraille était de jaspe, et qu’elle avait douze portes qui étaient faites de douze perles. M. de Tillemont aurait bien pu répondre à Du Fossé comme M. de Saci.

Voilà donc les plus grands orages de la jeunesse de M. de Tillemont : de la solitude des Granges à la maison solitaire de la rue des Postes, de celle-ci au château désert de Saint-Jean-des-Trous, étudiant et priant toujours.

Il alla pourtant encore, en ces années de persécution croissante, chercher un abri à Beauvais dans le Séminaire du digne évêque M. de Buzanval. On l’y reçut avec des marques extraordinaires d’estime. Tout jeune qu’il était (il avait 24 ans), on le considérait déjà comme très-habile dans l’histoire. M. Hermant, M. Haslé qui enseignait la théologie au Séminaire, ces gens de mérite que nous connaissons à titre de maîtres ou de collègues de M. de Beaupuis, s’accordaient pour indiquer M. de Tillemont aux jeunes gens qui voulaient approfondir l’histoire de l’Église, et ils le consultaient eux-mêmes dans leurs doutes sur les points embarrassants. Cette considération dont on l’environnait parut à l’humble Tillemont un écueil. Il en écrivit à M. de Saci, son directeur, et lui demanda si ce n’était pas une raison pour quitter Beauvais et chercher une retraite plus sûre. Sur un conseil que lui donna M. de Saci, et qu’il interpréta trop à la rigueur, il voulut pousser la