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PORT-ROYAL.

qu’il ne le devint tout à la fin[1]. Aussi n’est-ce pas Racine que je choisirai comme le modèle à offrir du parfait élève, selon nos maîtres. Et puis il a trop de génie naturel, il a trop d’art ; il en a eu sans Port-Royal, et malgré Port-Royal. Nous avons une autre figure, bien admirable à sa manière, et que je voudrais tâcher de graver dans l’esprit de ceux qui me lisent, à côté de celles de Lancelot, de M. de Saci, de M. Le Maître, de M. de Saint-Cyran, en attendant celles de M. Hamon et de Du Guet : c’est M. de Tillemont. Voilà l’élève de Port-Royal tout trouvé, dans toute sa pureté, son intégrité et sa constance ; illustre aussi d’ailleurs par ses travaux, mais surtout l’Élève en droiture, et qui n’a pas dévié (Sancte educatus, sancte vixit, dit son Épitaphe) ; celui même dont on peut dire jusqu’au bout, avec saint Grégoire cité par Coustel : « Un jeune homme, qui aura porté dès sa jeunesse le joug du Seigneur, sera assis comme dans une agréable solitude, parce qu’il ne ressentira pas l’agitation tumultueuse de ses cupidités et de ses passions[2]. »

M. de Tillemont, voilà notre Émile. Considéré de près, il nous en dira plus sur les Écoles et sur leur es-

  1. En y regardant de près, ce qui me frappe, c’est comme Racine tient peu de place dans le Port-Royal proprement dit. On le trouve à peine nommé. Je cherche en vain quelque mention de lui dans toutes ces correspondances manuscrites. Voici pourtant à grand’peine un mot de M. de Pontchâteau, dans une lettre écrite de l’abbaye d’Orval à mademoiselle Galier, le 25 septembre 1685 : « Au reste il faut que je devienne un peu bête, et que je perde le goût des belles choses ; car les vers de M. Racine ne m’ont point plu (il s’agit de l'Idylle sur la Paix), et j’y ai trouvé quelque chose qui me semble assez profane. On y parle d’un Dieu qui a renvoyé la Discorde aux Enfers, et ce Dieu est le Roi. Je vous assure que je ne me mets pas trop en peine de n’aimer plus tout cela. Vanité des vanités, et tout n’est que vanité. » — Ce n’est qu’au dix-huitième siècle que le Jansénisme est devenu si fier de Racine.
  2. Les Règles de l’Éducation des Enfants, par Coustel, tome I, page 13.