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PORT-ROYAL.

est pas de même de notre langue, qui ne parle par tu et par toi qu’aux valets et aux petites gens : ce qui est si vrai qu’un amant ne dit jamais à sa maîtresse ni tu ni toi… »

Sur quoi Bussy lui répond avec finesse, en le redressant sur un point qu’il sait d’original :

Je suis de votre avis sur le tu et sur le toi de notre poésie ; et la raison que vous en dites me paroît très-bonne, qui est que notre prose ne s’en sert pas… En amour il n’est pas vrai, mon Révérend Père, qu’on ne tutoye jamais sa maîtresse : mais vous n’êtes pas obligé de savoir cela. »

Le Père Rapin est si prompt à recevoir les moindres avis de Bussy et à y déférer que celui-ci, à la fin, en devient modeste. La politesse extrême et l’humilité du religieux ne sont pas exemptes d’un peu d’obséquiosité.

En résumé, cette Correspondance de Bussy et de Rapin leur fait honneur et montre sous un jour favorable ces deux esprits cultivés et pleins à la fois de monde et de littérature. Des deux le critique le plus sûr et l’Aristarque, c’est encore Bussy : il a, toutes les fois qu’il s’en mêle, le jugement plus ferme, et l’expression aussi.

J’ai prononcé le mot d’obséquiosité. Le Père Rapin payait un peu son écot dans le monde en cette sorte de monnaie. Il y a un petit Traité de lui, intitulé : Du Grand ou du Sublime, dans lequel il choisit ses exemples et les tire du milieu du temps présent et du siècle où il vit. On y voit successivement : le sublime de la condition de la robe en la personne du Premier Président de Lamoignon ; le sublime dans les armes et dans l’épée en la personne de M. de Turenne ; le sublime de la vie privée dans la retraite de M. le Prince à Chantilly ; et finalement, le sublime de la vie publique et sur le trône en la personne du Roi. Ce dernier genre de sublime est particulièrement amplifié. Il n’y a rien d’ailleurs dans cette abondance d’éloges et dans ces panégyriques à la Pellisson qui ne soit du goût et des habitudes du grand siècle : ma seule remarque dans l’espèce est qu’un homme de Port-Royal, un chrétien selon Saint-Cyran n’eût point fait cela. Nos gens, je l’accorde, ont bien quelques défauts, mais ils ne sont point plats.