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PORT-ROYAL.

contre corsaire ! Il ne fallut pas moins que l’intervention et l’autorité du Premier Président de Lamoignon, grand ami du Père Rapin, pour faire supprimer ce pamphlet d’érudit qui créait une guerre civile.

Le Père Vavassor était un érudit hérissé et farouche, de ceux qui se plaçaient sous les auspices sévères de M. de Montausier : le Père Rapin était un rhéteur bel esprit de ceux qui se rangeaient sous l’astre plus aimable de M. de Lamoignon.

En fait, le Père Vavassor convainc le Père Rapin de parler de ces choses de l’Antiquité un peu à la légère, à la cavalière et par à peu près (le Père Rapin est déjà à quelques égards un littérateur d’aujourd’hui, un peu comme nous autres, hélas !) ; il lui reproche de ne pas toujours prendre les textes qu’il cite et dont il s’autorise dans les originaux mêmes et aux sources premières : de là plus d’un faux sens ou d’un contre-sens, même en citant de l’Horace : par exemple :


Aut agitur res in scenis, aut acta refertur.


Rapin allègue ce passage comme si Horace partageait les poèmes en deux sortes, les dramatiques et les épiques, tandis qu’il s’agit seulement de ce qui se passe sur la scène dans les drames, tragédies ou comédies, et de ce qu’on doit se borner à raconter sans l’exposer à la vue.

Parlant de l’Andromaque d’Euripide, le Père Rapin lui donne à ce moment pour fils le petit Astyanax, tandis que son fils alors était Molossus qu’elle avait eu de Pyrrhus. Astyanax avait été précipité du haut d’une tour par Ulysse à la prise de Troie ; ce dont il aurait dû se souvenir, s’il avait lu réellement ces anciens poètes sur lesquels il aime tant à raisonner.

Mais la plus forte bévue est celle-ci. Le peintre Euphranor ayant à représenter les douze dieux principaux, ne savait comment exprimer Jupiter dans sa majesté. Étant entré un jour dans une école, à Athènes, où le maître expliquait publiquement Homère, il l’entendit réciter ces beaux vers du 1er livre de l’Iliade, où Jupiter est représenté avec ses noirs sourcils,


Qui font trembler les cieux sur leurs pôles assis.


En sortant de là, et tout plein de son objet, il alla peindre son Jupiter, comme aussi Phidias l’avait sculpté d’après ces mêmes vers. — Étant sorti de là, καὶ ἀπιὼν ἕργαψεν…. Et egressus pinxit ; mais cet ἀπιὼν trompa, on ne sait comment, le Père Rapin, qui traduisit : « comme l’écrit Apion le grammairien. » On juge si le Père Vavassor triompha de cette bévue, qui est piquante en effet. Au reste, le Père Vavassor, si au-dessus du Père Rapin en savoir positif et en intelligence de l’Antiquité, a commis lui-même dans