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APPENDICE.


SUR MADAME DU PLESSIS-GUÉNEGAUD

ET l’HÔTEL de NEVERS.


(Se rapporte à la page 62.)


Le Père Rapin, dans son Histoire du Jansénisme, est homme de parti ; il ramasse des propos, des mémoires de toute main, il n’est pas scrupuleux : tout ce qui est contre les Jansénistes et contre Port-Royal lui est bon ; il y met peu de choix et nulle ingénuité, quoi qu’il en dise ; les intérêts de la Compagnie, comme à tout bon jésuite, lui sont plus chers que la vérité. Mais il est des endroits de ses Mémoires qui sont plus originaux que les autres, et qui ont du prix : c’est quand il parle des personnes qu’il a connues, des femmes surtout, des salons qu’il a fréquentés ou dont il a été bien informé par ceux qui en étaient ; je dirai qu’il est là sur son terrain. Toutes les fois qu’il a à parler de madame de Sablé, de madame Du Plessis-Guénegaud, il excelle et il triomphe. C’est un mérite que je me plais à lui reconnaître. Sur madame Du Plessis, par exemple, il revient à bien des reprises ; il décrit parfaitement le ton et l’esprit de la maîtresse de la maison et de la société qu’elle réunissait autour d’elle. Ainsi sur la fin de la seconde Fronde, vers 1651-1652, recherchant les points d’appui et les ramifications les divers foyers de Port-Royal et du Jansénisme dans le monde, il nous dit :

« Mais le grand théâtre où se débitoit avec plus de bruit et même avec plus d’applaudissement le nouvel évangile de Port-Royal étoit alors l’hôtel de Nevers, qui est à présent l’hôtel de Conti, au bout du Pont-Neuf, chez la comtesse Du Plessis, femme du secrétaire d’État. La politesse de sa maison, dont elle faisoit les honneurs, la bonne chère, car la table y étoit d’une grande délicatesse et d’une grande somptuosité, la compagnie la plus choisie de Paris tant de gens de la robe que de la Cour, et toutes sortes de divertissements d’esprit y attiroient tant de monde, mais du monde poli, que c’étoit le rendez-vous le plus universel de la cabale. L’évêque de Comminges, cousin germain de la comtesse, le prince de Marsillac, depuis duc de La Rochefoucauld, le maréchal d’Albret, la marquise de Liancourt, la comtesse de La Fayette, la marquise de Sévigny, d’Andilly de Pomponne, depuis secrétaire d’État, l’abbé Testu, ami intime de la comtesse Du Plessis, beau parleur, mais sujet aux vapeurs à la mode, l’abbé de Rancé, homme agréable et spirituel, qui a été depuis le fameux abbé de La Trappe, les Barillons et tout ce qu’il y avoit de brillant parmi la jeunesse de qualité qui florissoit alors dans la ville ou à la Cour, se rendoient régulièrement en cet hôtel ou alloient à Fresne, maison de plaisance de la comtesse, à sept lieues de Paris, pour y faire des conférences d’esprit : car c’étoit un lieu agréable.