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LIVRE TROISIÈME.

s’est-elle pas en effet perdue ? Il en est de ces traits de Pascal comme des vers de Boileau devenus proverbes La médaille a mérité de devenir monnaie courante, et le frottement y a passé : assiduitate viluerunt.

Quand on relit les Provinciales, comme toute œuvre qui a fait sa route dans l’opinion, il est besoin d’un certain oubli ou d’une certaine réflexion, pour leur rendre toute leur fraîcheur.

Cette première Lettre en particulier attire littérairement l’attention comme étant le début de Pascal à titre d’écrivain. C’est la première fois qu’il songeait au style. Il avait auparavant écrit sur la Physique, sur les expériences touchant le Vide ; il avait publié un Avis sur sa Machine arithmétique, et on a une assez longue lettre de lui à la reine Christine, à qui il envoyait cette Machine ; j ai indiqué aussi sa Lettre à M. de Ribeyre dans le démêlé avec les Jésuites de Clermont. En ces derniers écrits, le style de Pascal pouvait sembler déjà formé ; c’était un bon style, honnête, mais qui n’avait rien de particulier. Il tenait du genre de Descartes en pareille matière, solide et sain, non pas sans agrément, surtout conforme au sujet. Mais Descartes, dans sa phrase pleine, claire, longue pourtant et perpétuellement enchaînée de l’une à l’autre par des conjonctions, n’avait pas encore tout à fait secoué le joug du latinisme, pour parler avec La Bruyère. Pascal coupa net dans ces longueurs. Dès la première Provinciale il devient pour nous, il devient pour lui-même, qui ne s’en doutait pas jusque-là, le Pascal littéraire.

Il tranche d’emblée, du tout au tout, sur les autres ecrivains de Port-Royal et sur la langue des Arnauld, sur ce style de famille, dont les défauts ne laissaient pas d’être sensibles dès lors à quelques contemporains gens de goût. Il y a des pages très-curieuses d’un Jésuite érudit et spirituel, mais qui, par malheur pour lui, n’a