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LIVRE QUATRIÈME.

avec lui de Francfort en Amsterdam dès l’année de l’Élection de l’Empereur (1657-1658), entre plusieurs agréables entretiens qui nous eûmes ensemble, il me témoigna le grand besoin qu’on avoit d’une bonne Grammaire françoise, et en même temps son étonnement et son déplaisir tout ensemble de ce que, n’y en ayant point qui fût aucunement tolérable, et se trouvant en France des gens qui en avoient fait, il n’y avoit pas longtemps, de si belles pour les langues Grecque et Latine…, on n’en avoit point fait pour la Françoise. Je lui dis que je connoissois fort particulièrement l’Auteur de ces autres Grammaires (Lancelot), qu’il étoit de mes intimes amis, et que, dès que je serois de retour en France, je ne manquerois pas de lui représenter ce qu’il m’avoit dit… J’assurai M. Elzevier de la grande bonté et de l’honnêteté singulière de cet Auteur, et je lui témoignai que je ne doutois nullement qu’il ne l’entreprit et n’en vînt bientôt à bout, dès que je lui aurois fait connoitre le besoin qu’on en avoit, et le service qu’il rendroit au public par cet ouvrage.
« Aussitôt que je fus de retour en France, un de mes premiers soins fut de voir cet excellent Auteur et cordial ami, de lui faire un récit fidèle de tout ce que nous avions dit sur ce sujet, M. Elzevier et moi, et de l’inviter de s’y appliquer le plus tôt que ses autres engagements pourroient le lui permettre. Je le trouvai si fort persuadé par lui-même de tout ce que j’avois à lui dire, que je n’eus besoin que de lui en faire la première ouverture. lime témoigna qu’il s’étoit plusieurs fois résolu à ce travail, mais qu’il y avoit toujours trouvé tant de difficultés, et si peu d’apparence de pouvoir les surmonter, qu’il avoit été obligé d’y renoncer. Quoique ses premières excuses ne me fissent pas perdre toute espérance…, je ne laissai pas de mander à M. Elzevier les difficultés qu’il m’en avoit faites. M. Elzevier m’encouragea à ne m’en pas rebuter ; j’en parlai encore au même Auteur deux ou trois fois ; mais ce fut toujours sans aucun succès, tant il avoit été rebuté lui-même toutes les fois qu’il avoit voulu l’entreprendre. En sorte que, voyant enfin toutes mes instances sur ce sujet inutiles, je perdis alors toute espérance de voir jamais une raisonnable Grammaire françoise… »

Et Saint-Amour raconte qu’en désespoir de cause il