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LIVRE QUATRIÈME.

prince de Conti à la mort de son aîné[1], est célèbre par ses débordements, comme du reste toute cette race oisive, amollie et brillante. Il faut voir quel portrait trace Saint-Simon[2] de ce débauché délicieux, de son esprit, de sa grâce, de sa science : « Il avoit été, contre l’ordinaire de ceux de son rang, extrêmement bien élevé ; il étoit fort instruit. Les désordres de sa vie n’avoient fait qu’offusquer ses connoissances sans les éteindre ; il n’avoit pas laissé même de lire souvent de quoi les éveiller. » Saint-Simon ne cite, parmi les anciens précepteurs du prince, que l’abbé Fleury, auteur de Histoire ecclésiastique ; il oublie Lancelot, qui, durant trois années d’assistance, dut pourtant laisser des traces lumineuses dans une nature aussi vive et aussi spirituelle, et qui contribua à ce premier fonds de culture qu’aucune corruption ne put abolir. Pauvre Lancelot ! il voulait, même d’un prince, faire un saint ; et voilà qu’il sortit de là un Alcibiade ! Le duc de Chevreuse, bien qu’il eût abjuré Port-Royal à la Cour, restait digne du moins de ses maîtres par la vertu et par le cœur[3]. Mais ce n’est point encore des élèves que nous parlons.

  1. Cet aîné mourut subitement, au retour de la guerre de Hongrie, ayant gagné la fièvre à veiller par bienséance sa femme qu’il n’aimait pas, et qui était atteinte de la petite vérole. Il mourut sans connaissance et sans confession (9 novembre 1685).
  2. Au tome VII, page 58, des Mémoires. — Voir aussi les Mémoires de la duchesse d’Orléans, mère du Régent, à l’article François-Louis, prince de Conti ; et surtout les Mémoires de madame de Caylus : « Simple et naturel, profond et solide, frivole même quand il falloit le paroître, il plaisoit à tout le monde ; et, comme il passoit pour être un peu vicieux, on disoit de lui ce qu’on a dit de César. »
  3. Lancelot eût pourtant été fort surpris de ce que devint la vertu du duc de Chevreuse dans les voies du Guyonisme. On sait que lorsque parut le livre des Maximes des Saints de Fénelon, le duc de Chevreuse se signala par son zèle et ses démarches en faveur du recueil mystique, soit pour revoir des épreuves, soit pour retirer et distribuer des exemplaires ; sur quoi un sage contemporain