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PORT-ROYAL.

grec dont j’ai dévoré les Racines, pourquoi n’en goûterais-je pas le miel et les fleurs ? L’enfant qui fera Bérénice se le dit un jour, et il sauta à pieds joints sur la défense. Il s’envola par-dessus la haie, comme l’abeille[1].

Lancelot composait un petit Traité sur les Règles de la Poésie françoise, en même temps qu’il en estimait l’exercice plutôt dangereux qu’utile à la jeunesse. Quand on parlait de Brienne chez les Jansénistes, et de toutes les escapades du bizarre Confrère : « C’étoit, disait-on, un beau génie et qui avoit une érudition peu commune ; mais la facilité avec laquelle il faisait des vers lui fut très-pernicieuse. » À voir cette peur du malin démon, il semble en vérité que les Jansénistes, même quand ils élevaient Racine, aient déjà eu en idée Voltaire.

À moins de se faire solitaires et pénitents, il était impossible que les élèves de Port-Royal (fussent-ils des Bignon) restassent tout à fait tels que les maîtres l’auraient voulu. On se dérangeait toujours un peu, et à proportion du génie ; mais ce qui restait du premier fonds était excellent, et vous faisait encore meilleur que les autres, — avec une certaine marque jusque dans le divertissement.

Je n’ai qu’un mot à dire des traductions de ces Messieurs ; elles passaient à leur moment pour élégantes : ne nous abusons pas, c’était d’une élégance toute relative. Elles visaient, comme les traductions d’alors, à être lues couramment, et elles ne craignaient pas la paraphrase. Le désir de former les enfants au beau style et aux tours du monde induisait les traducteurs à d’étranges libertés. Ainsi une lettre de Cicéron à Sulpicius

  1. Je noterai cependant, comme une petite inconséquence de plus, que, parmi les livres de traduction en usage à Port-Royal, on trouve le IVe livre de l’Enéide et les Églogues, même la seconde et la dixième.