Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/538

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
528
PORT-ROYAL.

riographes de France, que le Père Labbe s’était vu publiquement convaincu d’avoir copiés et contrefaits[1].

Un adversaire moins commode était le Père Vavassor le même qui prit si rudement à partie le poli, mais fragile évêque Godeau, et qui ne faisait pas grâce à son propre confrère Rapin, dont il dénonça sans pitié les légèretés et les inadvertances[2]. Ce Père Vavassor était un savant homme, un de ces esprits critiques et rigoureux qui trouvent à mordre, même sur de bons ouvrages, et qui ne laissent rien passer. Le bon Rollin eut affaire dans son temps à Gibert, un des esprits de cette trempe. Poète latin et orfèvre lui-même, c’est-à-dire auteur

  1. Il a été accusé d’être un peu pirate, dit Vigneul-Marville (Bonaventure d’Argonne), qui était d’ailleurs son ami particulier, et qui parle de lui comme d’un fort bon homme : « Ce n’étoit pas par nécessité que le Père Labbe détroussoit les savants, mais par amusement ; à peu près comme saint Augustin étant écolier déroboit les poires de ses voisina, seulement pour se donner le plaisir de dérober chez autrui ce qu’il n’auroit pas voulu ramasser dans sa maison. » Le Père Labbe mettait ainsi en circulation le bien des riches, et il était utile en ce sens-là à la République des Lettres. Il paraît de plus qu’il avait l’humeur plus pétulante qu’opiniâtre, et qu’il était sans rancune. « Je lui ai ouï dire, ajoute le même témoin, qu’avant le règne de Messieurs de Port-Royal les théologiens ne savoient pas étudier, et perdoient le temps à se forger des espèces vagues et inutiles sur des riens, au lieu de remonter hardiment aux anciennes sources et d’y puiser une solide doctrine. Cet aveu dans un homme de sa robe me surprit… » Allons ! Lancelot avait touché juste dans sa riposte : ce Père Labbe avait plus de mauvais goût et d’excès de rhétorique que de méchanceté — C’est aussi au Père Labbe qu’il est fait sensiblement allusion dans le premier Discours de la Logique de Port-Royal, où l’on donne la définition de la pédanterie : « Relever des choses basses et petites, faire une vaine montre de sa science…, piller un auteur en lui disant des injures, déchirer outrageusement ceux qui ne sont pas de notre sentiment… sur l’étymologie d’un mot, comme s’il s’y agissait de la Religion et de l’État…, c’est proprement ce qu’on peut appeler pédanterie. » La Logique parut en 1662, et les injures du Père Labbe étaient de 1661 ; l’exemple venait à point. (Voir à l’Appendice un complément sur le Père Labbe.)
  2. Voir à la fin du volume, à l’Appendice.