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PORT-ROYAL.

Se rendre compte de toutes choses et n’admettre que des idées parfaitement claires et distinctes, ce fut leur règle en éducation. D’autres qu’eux ont tiré toutes les conséquences.

Voilà donc l’enfant qui sait lire dans les livres français ; il faut lui en donner aussitôt qui soient proportionnés à son intelligence : par exemple, de bonnes traductions en français élégant et pur ; et c’est le cas de faire lire les Fables de Phèdre traduites, le Térence et le Plaute traduits, les petits Billets de Cicéron en français. Par ce moyen on apprend aux enfants à parler purement dans leur langue, et à la fois on les familiarise avec les matières qu’ils auront à étudier plus tard dans les livres latins.

Le moment est venu d’apprendre ce latin, alors si terrible et si hérissé. On apprend les langues vivantes principalement par l’usage, par le commerce avec ceux qui les parlent bien ; il faut faire de même, autant qu’on le peut, pour les langues mortes, et les apprendre par la lecture de ceux qui ont bien parlé autrefois. Mais comme la lecture de ces morts est souvent elle-même froide et morte, et que le ton de leur voix est si bas et si difficile à entendre qu’il ne diffère guère du silence, ce serait un avantage incomparable de ressusciter en quelque sorte les auteurs, et de leur rendre le mouvement, l’action, l’accent, tout ce qui faisait la vie, afin qu’ils pussent nous enseigner d’une manière toute vivante et naturelle. Or, c’est ce qu’on obtient en traduisant les ouvrages de vive voix devant les enfants. La traduction, et la traduction vivante, animée et nuancée à chaque instant par le maître, la traduction parlée plutôt qu’écrite, telle est la méthode que Port-Royal substituait tout d’abord aux thèmes : « Car n’est-ce pas un ordre tout renversé et tout contraire à la nature, que de vouloir qu’on commence par écrire en une langue, laquelle