ran, vers 1639, pendant la captivité du saint Abbé à Vincennes, Lancelot eut entre les mains un enfant qui était un prodige pour son âge ; car il apprenait tout seul les langues dès l’âge de huit ans, et il témoignait une curiosité sur tous sujets, qu’ils fussent ou non à sa portée, au point d’en composer ensuite de petits discours ou traités à son usage : on lui en surprit un, une fois, qu’il avait composé sur l’Ante-Christ. Mais cet enfant, qui n’offrait rien de vicieux d’ailleurs, annonçait l’orgueil de l’esprit, une avidité insatiable de savoir, et le désir ambitieux de se pousser dans l’Église. M. de Saint-Cyran, consulté sur cet enfant, et informé par Lancelot des symptômes extraordinaires, pensa à l’instant qu’il était plus sûr de ne pas le faire étudier. Il se méfiait de ces esprits-prodiges qu’on est tenté de saluer du nom de démon[1].
Nous avons connu de ces démons, de ces génies immodérés ; ce sont eux qui remuent le monde. Voltaire était un démon. Saint-Cyran, s’il avait eu à le juger enfant, aurait peut-être porté sur lui ce même pronostic qu’il porta sur l’enfant si préoccupé de l’Ante-Christ ; il aurait dit qu’il ne fallait pas le faire étudier. C’eût été grand dommage. Et pourtant, quand on croit que la vérité est une fois trouvée, et qu’elle a été donnée aux hommes, rien n’est plus sensé ni plus conséquent que de se méfier de ces prodiges d’activité, qui s’annoncent de bonne
- ↑ Δαιμόνιε, Homère emploie ce mot en un sens mêlé d’ironie, et tant en bonne qu’en mauvaise part. Les gens du peuple, chez nous, disent d’un enfant qu’il a bien de la malice, voulant dire qu’il a de l’esprit ; pour signifier qu’il est sot, ils disent : « Il n’a pas du vice. » Commynes, l’historien de Louis XI, a coutume de joindre ensemble, dans ses jugements des hommes, le sens et la malice : Sage homme et malicieux, dit-il en bonne part de je ne sais quel échevin de Gand. Chez le plus spirituel des peuples, εὐήθεια, bonhomie, était synonyme de bêtise. Partout on saisirait l’association et la confusion facile entre l’idée du mal et celle de l’esprit. Cela vous fait sourire, mais le vrai Chrétien n’en sourit pas.