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PORT-ROYAL.

nant garde par le silence de ne point dire plus de choses qu’ils ne pourroient en porter. Ainsi il me donnoit pour devise ces deux paroles, Patience et Silence, et les paroles de David : Adhæreat lingua mea faucibus meis ; désirant que les paroles me tarissent plutôt dans la bouche, que d’en avoir quelqu’une qui pût blesser ces enfants ; qu’ainsi je devois toujours parler avec une grande circonspection et avec une grande charité, pour ne leur donner aucun mécontentement ; que surtout je devois prendre garde que mes préventions, mes impatiences et mes passions ne tinssent lieu de l’onction du Saint-Esprit que je devois tâcher d’attirer sur eux. Quand il y avoit quelque bien dans quelqu’un de ces enfants, il me conseilloit toujours de n’en point parler, et d’étouffer cela dans le secret : « Si Dieu y a mis quelque bien, disoit-il, il l’en faut louer, et garder le silence, se contentant de lui en rendre dans le fond du cœur sa reconnoissance[1]. »

Nous voyons déjà tout l’esprit. Ces Écoles étaient la meilleure réponse à ceux qui reprochaient à Port-Royal de mener à une sorte de fatalisme par la doctrine de la Grâce. Plus l’homme est faible, plus il y a raison de l’armer, même quand cette armure devrait être nulle sans la consécration de Dieu. C’est à l’homme de tout faire, c’est à Dieu ensuite de voir.

Cette vue des enfants, si divers entre eux, même quand ils sortent d’un même sang et qu’ils suivent une éducation pareille, était bien propre d’ailleurs à confirmer nos Augustiniens dans leur doctrine. Fontaine, parlant de madame Le Maître, dont tous les enfants n’étaient pas également saints, et qui voyait MM. de Saint-Elme et de Vallemont si loin en arrière de leurs saints frères Le Maître et Saci, s’écrie encore :

« Combien de fois a-t-elle tremblé en voyant de ses yeux

  1. Si l’on trouve ce texte un peu différent de celui des éditions, c’est que je me conforme au manuscrit.