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LIVRE QUATRIÈME.

devient une lutte contre la nature, une vertu déjà ; il s’agit de donner au Chrétien de baptême les raisons graduelles et la conscience de plus en plus affermie de sa Grâce, de lui en apprendre la possession et la direction sous le bon vouloir de Dieu, d’édifier en lui tout l’être raisonnable jusqu’à sa pleine force adulte : voilà l’éducation.

Elle a, pour parler comme Saint-Cyran, quelque chose de terrible, à la considérer, soit par rapport à l’enfant si enchaîné de toutes parts, si assujetti, si à la merci de tout ce qui l’environne, et pourtant déjà propre à perdre tout l’effet du baptême par des fautes criminelles ; soit par rapport aux maîtres sur qui se rassemble ce mystère de la responsabilité de l’enfant, pour éclater sur leurs têtes avec justice s’ils ne font tout ce qui est en eux. Et l’on conçoit que Saint-Cyran ait dit de cette charge, de cette vocation de maître, qu’elle était une tempête de l’esprit.

Qu’on veuille y réfléchir, c’est là l’idée véritable de l’enfance, telle qu’elle résulte du dogme approfondi de la Chute[1]. Mais, tout en croyant à la Chute en théorie,

  1. « La composition du cœur de l’homme est mauvaise, dès son enfance, » dit la Genèse ; et Bossuet, s’armant de l’Écriture et de saint Augustin, montre, dans une Élévation que nous avons déjà citée, le déluge des misères qui inondent sur toute chair : « Regardez cette enfance laborieuse : de quels maux n’est-elle pas opprimée ? Parmi quelles vanités, quels tourments, quelles erreurs et quelles terreurs prend-elle son accroissement ? Ô Seigneur !… pourquoi donc répandez-vous votre colère sur cet enfant qui vient de naître ? À qui a-t-il fait tort ?… Quel est son crime ? Et pourquoi commencer à l’accabler d’un joug si pesant ? Répétons encore, un joug pesant sur les enfants d’Adam. Il est enfant d’Adam, voilà son crime !… " (IVe Élévation de la Septième Semaine.) Qu’après cela Jean-Jacques vienne ouvrir son Émile par cette phrase célèbre:« Tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme; » il est lui-même forcé d’écrire, deux pages plus loin:« Nous naissons faibles, nous avons besoin de force; nous naissons dépourvus de tout, nous avons be