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cette exégèse morale de l’Ancien Testament ; mais bien qu’il n’ait pu être indifférent d’entendre passer par sa bouche la morale de Moïse, de David, de Salomon, avec je ne sais quoi de la voix plus douce d’un Joseph, on y supplée aisément pour le fond. Son neveu Étienne Périer nous a donné avec précision l’enchaînement[1].

Dès l’ouverture du saint livre et dès le premier regard qu’on y jette, Pascal ne manque pas de faire remarquer qu’à côté de la pleine connaissance de l’homme misérable, il s’y trouve aussi le remède et de quoi se consoler. Il admire, de plus, que ce livre soit le seul qui ait dignement parlé de l’Être souverain, et qui ait fait consister l’essence du culte (chose unique) dans l’amour du Dieu qu’on adore. Tels sont les premiers caractères qui frappent à livre ouvert et qui sautent aux yeux. Jusque-là Pascal n’a pas encore abordé le chapitre des preuves directes et positives ; mais il a fait plus, si l’on peut dire : il a mis celui qu’il dirige dans la disposition de les recevoir avec plaisir et de les désirer. Ç’a été de sa part une préparation, une pression morale, un foulement dans tous les sens ; ç’a été (tranchons le mot) une manœuvre saintement habile pour rabattre du côté de

  1. Relire dans la Préface d’Étienne Périer la suite du passage précédent : « Ce n’est pas assez d’avoir fait connoître, etc… » — Bossuet semble s’être chargé de remplir cette lacune laissée chez Pascal, en ébauchant, dans sa IIIe et IVe Élévation de la Septième Semaine, les misères morales de l’homme déchu ; il y prend pour texte le chapitre XLe de l’Ecclésiastique. Je renvoie le lecteur à ces grandes pages : « Le déluge des eaux n’est venu qu’une seule fois : celui des afflictions est perpétuel, et inonde toute la vie dès la naissance… Il est enfant d’Adam, voilà son crime. C’est ce qui le fait naître dans l’ignorance et dans la foiblesse, ce qui lui a mis dans le cœur la source de toutes sortes de mauvais désirs : il ne lui manque que de la force pour les déclarer… » C’est en des termes approchants que Pascal aurait amené l’homme à se reconnaître au moral dans l’Écriture comme en un plein miroir, et, confondu de la ressemblance, à s’écrier : Ce livre est le vrai !