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PORT-ROYAL.

Pascal a donc piqué l’homme et l’a mis en quête du salut, en quête hors de lui, puisqu’au dedans de lui il n’y a que néant, abîme, contradiction, énigme indéchiffrable. Où ira cet homme qui cherche ? à qui s’adressera-t-il ? Aux philosophes d’abord, là où il y a en grosses lettres enseigne de vérité. Suit toute une énumération des philosophies diverses. Ce que Montaigne a fait dans l’Apologie de Sebond, prenant les philosophies une à une, deux à deux, et les entre-choquant, les culbutant l’une par l’autre et l’une sur l’autre, — Pascal le va faire à son tour. Nous savons par cœur sa méthode ; et pour le fond encore nous avons peu à regretter. La Conversation sur Montaigne et sur Épictète nous a rempli d’avance le desideratum. Ce qu’on trouve écrit dans ses Pensées sur les Pyrrhoniens et les Dogmatistes concorde à merveille avec l’Entretien et le complète :

« Voilà la guerre ouverte entre les hommes, où il faut que chacun prenne parti, et se range nécessairement ou au Dogmatisme ou au Pyrrhonisme ; car qui pensera demeurer neutre sera pyrrhonien par excellence. Cette neutralité est l’essence de la cabale… Que deviendrez-vous donc, ô homme, qui cherchez quelle est votre véritable condition par votre raison naturelle ? Vous ne pouvez fuir une de ces sectes, ni subsister dans aucune. »

L’homme n’ayant ainsi trouvé autour de lui, hors de lui, dans ces philosophies pleines de promesses, que la même contradiction finale qu’il a déjà reconnue en lui, que deviendra-t-il en effet ? car le voilà, par ce perpétuel mouvement d’élévation et d’abaissement, rendu à lui-même, plus étourdi, plus ébloui et aveuglé, et, pour tout dire, un monstre qui se comprend plus incompréhensible que jamais.

C’est dans cette situation où il l’a voulu mettre, lassé, harassé, réduit à merci, que Pascal commence à lui montrer du doigt ce qui pourrait bien être l’unique