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LIVRE TROISIÈME.

On assiste à toutes les péripéties de ce drame du Prométhée chrétien, et le premier acte se termine par ce cri, qui dès le commencement est dans notre oreille :

« Quelle chimère est-ce donc que l’homme ? quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige ! Juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d’incertitude et d’erreur, gloire et rebut de l’univers ! Qui démêlera cet embrouillement ?… S’il se vante, je l’abaisse ; s’il s’abaisse, je le vante, et le contredis toujours jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il est un monstre incompréhensible. »

Toute cette partie du discours ou de l’ouvrage de Pascal, où il prend l’homme à partie et le convainc de néant, de contradiction, d’oscillation éternelle, nous l’avons suffisamment ; il y a peu à regretter. Que les versets de Job aient été proférés dans un ordre ou dans un autre, peu importe. — Je ne sais qui a dit que les fragments d’Archiloque sont comme des javelots brisés qui sifflent encore. Cela est vrai des fragments de Pascal.

L’homme ainsi convaincu et mis en éveil, il reste à l’amener au Christianisme ; mais on n’y est pas encore. Nous cheminons pied à pied. Le nœud par lequel Pascal tient l’homme et ne le lâche plus, c’est l’inquiétude infinie, l’impossibilité de l’indifférence (le contraire de l’oreiller de Montaigne) : c’est par là qu’il le tire. Ici de nouveaux prolégomènes, et comme le prologue d’un acte nouveau.

Pascal en voulait surtout à cet étrange repos où quelques-uns s’oublient, et qui lui paraissait la suprême marque de la stupidité ; aussi il le pousse en cent façons, ce sommeil de l’esprit ; il l’insulte et le veut rendre impossible :

« L’immortalité de l’âme est une chose qui nous importe si fort, qui nous touche si profondément, qu’il faut avoir