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LIVRE TROISIÈME.

garde, c’est son corps, c’est-à-dire une certaine portion de matière qui lui est propre. Mais, pour comprendre ce qu’elle est, il faut qu’il la compare avec tout ce qui est au-dessus de lui et tout ce qui est au-dessous, afin de reconnoître ses justes bornes[1].

« Que l’homme contemple donc la Nature entière dans sa haute et pleine majesté ; qu’il éloigne sa vue des objets bas qui l’environnent ; qu’il regarde cette éclatante lumière mise comme une lampe éternelle pour éclairer l’Univers ; que la terre lui paroisse comme un point, au prix du vaste tour que cet astre décrit ; et qu’il s’étonne de ce que ce vaste tour lui-même n’est qu’un point très-délicat à l’égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s’arrête là, que l’imagination passe outre : elle se lassera plutôt de concevoir, que la Nature de fournir. Tout ce monde visible n’est qu’un trait imperceptible dans l’ample sein de la Nature. Nulle idée n’en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au delà des espaces imaginables : nous n’enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses… »
(Et tout ce qui suit : } « Que l’homme, étant revenu à soi, considère ce qu’il est au prix de ce qui est…, etc. »

Ainsi, pour premier crayon, la nature dans sa magnificence, dans son illumination, dans son amplitude, dans son infini ! l’homme embrassant tout cela, lui chétif et comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; grand pourtant et suspendu entre deux infinis,

  1. L’exact et consciencieux éditeur de 1844 se montre bien rigoureux pour cette phrase qu’il n’a pas retrouvée dans le manuscrit actuel, ce qui ne prouve pas absolument qu’il n’y en ait pas eu trace sur quelque petit papier disparu. Pour moi, elle ne me paraît ni lourde ni obscure, et il me semble en saisir très-bien la liaison avec le reste. Avant de faire éclater l’espèce d’hymne qui suit, et que l’édition de 1844 nous rend si fidèlement, Pascal a dû commencer, ne fût-ce qu’en idée, par quelque phrase analogue à celle qu’on lit dans l’édition de Port-Royal. Ainsi, quand plus loin il dit : « Notre intelligence tient dans l’ordre des choses intelligibles le même rang que notre corps dans l’étendue de la nature, » il indique lui-même quel pouvait être le sens de cette première phrase.