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LIVRE TROISIÈME.

heure après, ils ne savent qu’en croire, et ils craignent de s’être trompés, tellement que c’est à recommencer toujours.

Il montre que les preuves qui entrent le mieux dans l’esprit et dans le cœur des hommes, et qui déterminent leurs actions, sont surtout morales et historiques, et tiennent à de certains sentiments naturels ou à l’expérience journalière ; que c’est par cette voie que sont acquises les notions qui sont reconnues de tous pour les plus indubitables : par exemple, qu’il y a une ville qu’on appelle Rome, que Mahomet a existé, qu’il y a eu un incendie de Londres, etc. ; que ce serait être fou que d’en douter, et de ne pas exposer sa vie là-dessus, pour peu qu’il y eût à gagner ; que, dans le train ordinaire des choses, on ne va jamais plus sûrement que quand on se confie à ces voies communes de certitude. C’est donc à de simples preuves de ce genre, toutes morales et historiques, non moins convaincantes que les autres, et plus accessibles, plus pénétrantes, plus aisément présentes et actuelles, qu’il prétend fonder tout son raisonnement.

Tel est le sens des prolégomènes de Pascal. Il ne s’y montre pas moins éloigné de cette voie de démonstration logique et géométrique à outrance dont Arnauld était si épris, que de ce rationalisme absolu que venait d’instituer Descartes. Ce dernier point est surtout à relever.

Descartes se place dans le doute méthodique ; il se dépouille par abstraction de toutes ses connaissances, habitudes et croyances ; il réduit sa pensée à elle seule, et il veut tirer d’elle, et rien que d’elle, tout ce qu’elle peut lui donner.

Toute la méthode et l’entreprise de Pascal est comme une protestation contre ce rationalisme essentiellement indépendant et spéculatif. En général, il parle très peu