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PORT-ROYAL.

Et il cite un exemple que nous allons dire. Mais, chemin faisant, n’êtes-vous pas effrayé de cette multitude de défilés et de coins périlleux par où est obligée de passer une pauvre pensée humaine, laissée orpheline du génie qui l’a produite, et n’ayant plus là son père pour la défendre[1] ? Pour les vrais Anciens, transmis durant des siècles à travers tant de mains diversement intéressées, cela fait trembler. Chez ces hommes qui sont des modernes d’hier, que d’altérations déjà et d’atteintes, que du moins encore nous pouvons saisir ! Saint-Cyran nous a paru, dans ses discours et dans sa parole, tout autrement éloquent que dans ses écrits ; je le crois bien ; M. Nicole, qui était très-exact, a passé son niveau sur ces derniers. Le traité sur le Sacerdoce, qui y a échappé, est seul resté beau et marqué au coin du maître. Saint-Cyran, le grand directeur, corrigé par Nicole ! c’est pis que ne le serait, dans un autre genre, Joseph de Maistre corrigé par l’abbé Émery. Ici c’est Pascal qui a, pour son compte, à passer entre les amis craintifs et les Approbateurs inquiets, entre une double haie de docteurs. Comme l’homme aux deux maîtresses, c’est à qui lui arrachera un cheveu. Oh ! que l’écrivain de génie paye cher l’avantage d’appartenir à un parti ! Il est vrai que, s’il vit et meurt seul (singulariter sum ego donec transeam), il court d’autres risques, et sa dépouille peut aller aux mains du premier passant. Concluons humblement que le moi humain le plus original et le plus énergique a fort à faire pour qu’après lui sa marque particulière tienne bon et ne s’efface pas ; et revenons vite au cas allégué dans la lettre d’Arnauld :

« Par exemple, écrivait celui-ci à M. Périer, l’endroit de la page 293 me paroit maintenant souffrir de grandes difficultés, et ce que vous dites pour le justifier, « que, selon

  1. Expression de M. de Maistre.