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LIVRE TROISIÈME.

la fin dans l’intégrité de sa conscience morale et de son entendement. Le reste nous échappe. Ceux qui se montrent si prompts à crier à la folie de l’homme n’ont pas assez réfléchi, au préalable, à ce que c’est que la folie de la Croix.

Bayle le savait mieux qu’eux. Parlant précisément de ces pensées extrêmes de Pascal sur la maladie qui est l’état naturel du Chrétien, le malicieux auteur s’est bien gardé de n’y pas reconnaître l’esprit du Christianisme lui-même, repris de très-haut et remontant à sa source :

« On fait bien, écrivait-il, de publier l’exemple d’une si grande vertu ; on en a besoin pour empêcher la prescription de l’esprit du monde contre l’esprit de l’Évangile. On voit assez de gens qui disent qu’il faut se mortifier, mais on en voit bien peu qui le fassent ; et personne n’appréhende de guérir quand il est malade, comme M. Pascal l’appréhendoit. Il y a même des pays dans la Chrétienté où il n’y a pas peut-être un homme qui ait seulement ouï parler des maximes de ce philosophe chrétien[1]. »

On a souvent cité en tout ou en partie ce passage de Bayle ; Besoigne s’en autorise presque avec édification. Il faut prendre garde pourtant et toujours se méfier quand on cite Bayle ; il est fin, il est peu fier, et, pourvu qu’il glisse sa pensée, peu lui importe sous quel pavillon. Il est le contraire de Pascal, à qui l’on a reproché le ton tranchant ; et il ne tient pas beaucoup à garder son rang d’honneur et de préséance à la vérité. Ici, en ayant l’air de louer, le sceptique a surtout un but, c’est de faire entendre combien, malgré son règne nominal, le vrai Christianisme est rare, combien il est quasi impossible.

  1. Nouvelles de la République des Lettres, décembre 1684. Y joindre l’article Pascal du Dictionnaire.