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PORT-ROYAL.

reté première, la simple beauté de l'être moral se peut-elle jamais reconquérir ? À cet âge avancé du monde, l'élite des cœurs voués au culte de l'Infini n'aura-t-elle pas toujours sa dure maladie incurable et son tourment ? En attendant la forme inconnue (s'il en est une) de cette Sainteté nouvelle, qui perpétuerait le fonds de l'ancienne en le débarrassant de tout l'alliage, qui consacrerait les pures délices de l'âme sans les inconvénients et les erreurs, et qui saurait satisfaire aux tendresses des Pascals futurs, en imposant respect au bon sens malin des Voltaires eux-mêmes ; en attendant cette forme idéale et non encore aperçue, tenons-nous à ce que nous savons ; étudions sans impatience, admirons, même au prix de quelques sacrifices de notre goût, ces derniers grands exemples des hommes qui ont été les derniers Saints ; admirons-les, quand même nous sentirions avec douleur que leur religion, leur foi ne saurait plus être la nôtre : ils nous offrent de sublimes sujets à méditation. La grandeur morale de Port-Royal réside en eux. Quelle que soit la valeur littéraire des écrits sortis de ce coin du monde, ce n'est point par là (sauf une ou deux exceptions au plus), ce n'est point à ce titre purement estimable

    mieux être parfaitement ignoré qu'être parfaitement connu. » Depuis, en effet, que le cœur humain a été convaincu, selon le Prophète et selon l'Apôtre, d'être désespérément malin, il semble qu'il le soit de plus en plus devenu. Cette parole si chrétienne du Père de Neuville est la plus contraire qui se puisse imaginer au sentiment antique, quand les généreux luttaient à cœur ouvert pour la gloire (ce qu'un poète de vertu appelle, aperto vivere voto), et quand l'huile brillante de la palestre était le seul vêtement de la nudité. — C'est en songeant à ces derniers effets du Christianisme, à ces effets rentrés qui se sont comme fixés dans l'organisation et ont affecté tout l'homme, qu'un autre moraliste d'une très-moderne école, et cousin du précédent, a pu dire : « Le Christianisme, comme son aîné le Bouddhisme, a été un grand bien relatif, un remède à une décadence, né de cette décadence même ; mais il en faisait partie. Le mal principal passé, qui nous guérira désormais du remède, — des suites du remède ?»