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LIVRE TROISIÈME.

presque de sa nature, s’élève au-dessus d’un apitoiement passager, et arrive à des énergies de compassion, à des surcroîts de vertu et d’humanité, qui seraient autrement sans motif, tout à fait inexplicables et inouïs[1].

  1. Comprend-on maintenant comment un écrivain qui avait approfondi, dans le même sens que Port-Royal, la grandeur et la folie de la Croix, a pu définir ainsi le Chrétien ? « Un Chrétien toujours en éveil, toujours occupé à réprimer en lui tour à tour l’esprit ou les sens, et jusqu’à la satisfaction du bien, est comme un homme, l’hiver et la nuit, au bord d’un fleuve, près d’une arche de pont, — un homme à qui l’on aurait dit : « Brise la glace, empêche-la de se former, de peur que tout le fleuve ne prenne, et qu’ensuite le pont ne soit emporté. » Il brise donc tantôt d’un côté, tantôt de l’autre ; là où il se croit le plus maître, bientôt la glace se reforme derrière lui, car l’air du dehors est très-froid. Il travaille ainsi sans relâche, et c’est à recommencer toujours. Voilà l’image (en cette vie où l’air du dehors est bien froid en effet), l’image du Chrétien vigilant, occupe sans cesse à briser la glace au-dedans de lui, et à maintenir le libre courant de la Grâce. » — Austérité et tendresse ! ce courant de la Grâce, rudement maintenu à ce prix, n’est pas distinct du torrent même de la charité. — (Voir à l’Appendice.)