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LIVRE TROISIÈME.

mais qu’elle le viendroit voir de tems en tems pour pourvoir avec lui aux besoins de cette fille ; et il la pria d’obtenir de lui la permission de lui dire son nom : « Je vous promets que je n’en parlerai jamais pendant sa vie ; mais si Dieu permettoit qu’il mourût avant moi, j’aurois de la consolation de publier cette action ; car je la trouve si belle, que je ne puis souffrir qu’elle demeure dans l’oubli. » Ainsi, par cette seule rencontre, ce bon Ecclésiastique, sans le connoître, jugeoit combien il avoit de charité et d’amour pour la pureté. »

Un tel acte rappelle involontairement ce trait charmant de Bayard blessé à Bresse, et cette conduite touchante du bon chevalier envers la dame son hôtesse, et les deux belles jeunes filles dont il soigne l’honneur, et qu’il dote en partant. Mais ici, chez Pascal, la charité n’a rien de chevaleresque, elle est tout uniment chrétienne et cachée. Elle n’a point pour objet deux nobles damoyselles, mais une fille de la rue. On a là le fond et les racines toutes vives de la charité sans les fleurs, sans le sourire et les bracelets offerts, sans aucune de ces grâces qui sont déjà l’attrait humain et la récompense. La simplicité compatissante n’y souffre rien qui vienne l’embellir et la distraire.

Mais ce n’est pas tout : Pascal est au lit de mort ; une circonstance a fait qu’il a dû sortir de sa maison, et qu’il est logé depuis quelques semaines chez sa sœur, madame Périer, qui l’entoure de soins. Ces soins, dont il est l’objet, lui donnent des scrupules. Assistons à ce dernier tourment tout gratuit, à ce délire, si l’on veut, du héros chrétien :

« Il souhaitoit beaucoup de communier, raconte sa sœur ; mais ses médecins s’y opposoient, disant qu’il ne le pouvoit faire à jeun… Il dit : « Puisqu’on ne me veut pas accorder cette grâce, j’y voudrois bien suppléer par quelque bonne œuvre, et, ne pouvant pas communier dans le Chef, je voudrois bien communier dans les membres ; et