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LIVRE TROISIÈME.

mal ; il se sert des phrases les plus forcées et les moins naturelles. Térence dit en quatre mots, avec la plus élégante simplicité, ce que celui-ci ne dit qu’avec une multitude de métaphores qui approchent du galimatias. J’aime bien mieux sa prose que ses vers. Par exemple, l’Avare est moins mal écrit que les pièces qui sont en vers…, etc. »

Vauvenargues mêle à ses éloges les mêmes restrictions : « Sans parler de la supériorité du genre sublime donné à Racine, on trouve dans Molière tant de négligences et d’expressions bizarres et impropres, qu’il y a peu de poètes, si j’ose le dire, moins corrects et moins purs que lui[1]. »

Voltaire, en son Siècle de Louis XIV, se déclare avec une grande vivacité de goût en faveur de la poésie de Molière ; mais il paraît imputer au seul Fénelon un jugement qui était, on le voit, celui de beaucoup d’autres. La vérité est qu’il y a parfois d’assez mauvais vers chez Molière. Sans sortir de Tartufe, dans la fameuse scène du quatrième acte entre Elmire et lui (Orgon étant sous la table), Elmire fait semblant d’expliquer l’opposition qu’elle a mise à ce qu’il épousât sa belle-fille, et elle lui dit :

Qu’est-ce que cette instance a dû vous faire entendre,
Que l’intérêt qu’en vous on s’avise de prendre,
Et l’ennui qu’on auroit que ce nœud qu’on résout
Vînt partager du moins un cœur que l’on veut tout[2] ?

  1. Il n’est pas jusqu’à Bayle qui, dans l’article Poquelin de son Dictionnaire, ne se fasse l’écho de l’opinion courante : « Il avoit une facilité incroyable à faire des vers ; mais il se donnoit trop de liberté d’inventer de nouveaux termes et de nouvelles expressions ; il lui échappoit même fort souvent des barbarismes. »
  2. Dira-t-on que l’obscurité de ces vers, les que qui y abondent, leur embarras, en un mot, est là pour traduire celui d’Elmire ? Dans ce cas, tout mauvais qu’ils semblent, ils seraient dramati-