d’une vigueur qui s’amuse à mainte bagatelle et s’éparpille ; de génie et d’invention, mais dans le détail seulement des pensées et de l’expression ; elle n’est pas à l’état de repliement presque maniaque sur elle-même ou de curiosité sans fin, à la dérive, vers tout sujet : Montaigne donne à la fois dans ces deux extrêmes, Molière nous rend la nature, mais plus généreuse, plus large et plus franche, dans un train d’action, de pensée forte et non repliée, d’ardente contemplation sans jamais de curiosité menue et puérile ; s’il se prend à imiter autrui et les choses, c’est d’une imitation non point entraînée et singeresse comme dit Montaigne, mais reproductive et neuve, et qui fait dire, en allant du peintre au modèle : « Lequel des deux a imité l’autre ? » On sent à chaque pas une force féconde et créatrice qui se sait elle-même et ses moindres ressorts, mais sans s’y arrêter, sans tout régler par calcul[1] ; qui sait les fautes, les contradictions et les faiblesses, et qui est capable malgré cela d’y tomber, ce qui me semble plus beau, plus riche du moins (naturellement parlant) que le prenez-y-garde intéressé, qui réussit à ne jamais faire de faux pas. Il y a déjà du Fontenelle chez Montaigne.
- ↑ Molière se sait autant que Montaigne, mais comme lui il ne s’observe pas toujours, et surtout il ne se dépeint jamais. Je l’ai remarqué ailleurs (Portraits littéraires), il ne conçoit pas qu’on se répète soi-même dans ses peintures. Parlant à Mignard du dessin des visages, il a dit :
Et c’est là qu’un grand peintre, avec pleine largesse,
D’une féconde idée étale la richesse,
Faisant briller partout de la diversité,
Et ne tombant jamais dans un air répété :
Mais un peintre commun trouve une peine extrême
À sortir dans ses airs de l’amour de soi-même ;
De redites sans nombre il fatigue les yeux,
Et plein de son image, il se peint en tous lieux.Ce ne sont pas seulement les peintres communs qui font de la sorte ; il y en a de très-distingués, mais qui ont un coin de manie. Lamartine profile des Jocelyns partout.