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LIVRE TROISIÈME.

ne les avaient aimés. Ce n’est pas là un si mauvais signe, à mon sens. Quoi de plus justement suspect aux maîtres de la terre que la pensée unie avec la foi, même quand cette pensée et cette foi s’abstiennent de toute révolte dans l’ordre politique ? Mais elles existent, elles échappent ; le maître le sent, et c’est trop.

Si d’ailleurs ces idées d’homme à théorie, d’idéologue et de Janséniste, se tenaient dans la tête de Napoléon en vertu d’un instinct qui ne le trompait guère, ce n’était pas toutefois sans quelque confusion assez plaisante. Pour lui le Père Quesnel et le docteur Quesnay ne firent jamais qu’un : « Eh bien ! vous êtes toujours pour le docteur Quesnel, » disait-il un jour à l’abbé Louis. Liberté de commerce, liberté de protester et d’écrire en matière de religion, il brouillait volontiers toutes ces choses qu’il n’aimait pas[1].

Et puisque nous en sommes au facétieux, un dernier mot de de Maistre, et qui doit nous rendre bien humble, clora cette longue discussion : « Tout Français ami des Jansénistes, il le déclare en finissant, est un sot ou un Janséniste. » Et comme Janséniste dans sa bouche veut dire diabolique, il n’y aurait pas de milieu, on le voit, entre passer pour un méchant ou pour un sot ; c’est dur.

Il y a bien des années déjà, un écrivain éloquent qui n’a pas moins combattu l’Église gallicane que ne l’a fait de Maistre, et qui, dans une ou deux rencontres, n’a pas épargné non plus le Jansénisme, mais dont le style s’est ressenti toujours de la saine nourriture première puisée aux lectures de Port-Royal, et dont le cœur aussi s’en est ressouvenu, M. de La Mennais, dans un

  1. Un descendant de Louis XIV, bien peu semblable à Napoléon et qui jugeait de ces choses non pas en politique, mais en dévot, le Dauphin, fils de Louis XV, lisant un jour l’histoire de Néron, s’écria : « Ma foi ! c’est le plus grand scélérat du monde ; il ne lui manquait que d’être janséniste. »