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PORT-ROYAL.

et se lâche bride à tout propos. Mais de tels jeux tirent bien autrement à conséquence chez les dogmatiques que chez les sceptiques ; et l’on pourrait même soutenir que, chez les dogmatiques tels que de Maistre, ils sont plus directement ruineux à la foi même, en la compromettant dans la personne de ses champions les plus avancés et au moment de sa prétention la plus hautaine.

Malgré sa forte science, malgré sa doctrine puisée en général aux sources ; quoiqu’il pratique de première main Aristote en Grec aussi bien que Pindare, et qu’en vrai gentilhomme de l’intelligence qu’il est, il aille droit sans marchander à ses pairs ; quoique par vocation, et en haine de ce qu’il appelle les potions françaises, il s’attaque au corps des choses, aux pièces de haut-bord ; malgré tout ce poids imposant, de Maistre est parfois léger. Plume en main, il pirouette, il a des talons rouges sur la cime de ses hautes idées, dans les intervalles de ses in-folio. Si sérieuse que soit la matière en jeu, un souffle plus politique que moral, un ton de monde, de société, de circonstance, traverse et se fait sentir ; ce sénateur de Chambéry a un bout de cocarde de Coblentz. Il y a du Rivarol chez de Maistre.

Voltaire est bien léger ; de Maistre l’a convaincu en mainte occasion de ce péché-là : mais sur l’article qui nous occupe, quelle différence ! Qu’on relise le 37e chapitre du Siècle de Louis XIV sur le Jansénisme, chapitre charmant, moqueur, inexact (mais pas tant qu’on le croirait), enfin une de ces esquisses comme Voltaire les sait faire. De Maistre ne s’est emparé dans ce chapitre que des jugements qui pouvaient lui convenir ; il n’a pas dit le reste, par quoi Voltaire se montre vraiment impartial. Et même, après bien des badinages et des lazzis sur ces disputes, quand il en vient à parler de la