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PORT-ROYAL.

hébraïsant, pas un helléniste[1], pas un latiniste[2], pas un antiquaire, pas un lexicographe, pas un critique, pas un éditeur célèbre, et, à plus forte raison, pas un mathématicien, pas un astronome, pas un physicien, pas un poète[3], pas un orateur[4] ; ils n’ont pu léguer (Pascal toujours excepté) un seul ouvrage à la postérité. Étrangers à tout ce qu’il y a de noble, de tendre, de sublime dans les productions du génie, ce qui leur arrive de plus heureux et dans leurs meilleurs moments, c’est d’avoir raison. »

Avoir raison, c’est déjà quelque chose, et de Maistre en ce moment l’oublie trop. Reposons-nous un peu après tout ce carnage, et reprenons nos esprits. Dans une lettre familière écrite au sujet de cet ouvrage ou

  1. Et l’humble Lancelot, et M. Le Maître, et presque tous ces Messieurs, qui savaient et traduisaient le grec ? Il est vrai qu’ils le savaient sans être des hellénistes de métier et sans en avoir enseigné. M. Akakia du Lac, de même, qui savait l’hébreu, l’apprenait à Du Fossé et à d’autres, et ne s’en vantait pas. Port-Royal, encore un coup, n’avait pour but de faire ni des hébraïsants, ni des hellénistes, ni des savants spéciaux en aucune branche, mais des hommes, des Chrétiens. — On raconte que le bon Père Castel Jésuite, était si préoccupé de son clavecin des couleurs, qu’il lui arriva plus d’une fois, en disant sa messe, de laisser échapper, au moment où le prêtre se retourne vers l’assistance, un Quod erat demonstrandum, au lieu du Dominus vohiscum. Port-Royal était à l’abri de ces distractions-là.
  2. Ceci encore est par trop fort. Quoi ! Nicole, si élégant en latin sous le nom de Wendrock, et M. Hamon dans ses ingénieuses Épitaphes latines, de Maistre ne les juge point des latinistes ?
  3. Je ne me récrie qu’aux plus forts endroits. Je ne sais où de Maistre entend loger la critique scrupuleuse et sage de Tillemont. Comme mathématicien, il supprime Pascal ; comme poète, il retranche Racine. Le Racine d’Athalie, pourtant, est bien celui de Port-Royal, comme nous le verrons. Et ce Racine fils, dont lui-même, de Maistre, a si bien parlé et sans dédain en un endroit des Soirées, n’était-il pas un enfant de cette école, ou plutôt de cet esprit, auquel appartient également Rollin ?
  4. Et Des Mares, l’orateur chrétien, à qui la chaire fut trop tôt interdite, et M. Le Tourneux, également interdit deux fois pour l’éclat de sa parole ?