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LIVRE TROISIÈME.

Le sixième Écrit, signé des mêmes Curés (24 juillet 1658), l’est bien mieux de Pascal encore par une éloquente invective qui fait exactement l’effet d’un passage des Provinciales égaré dans ces Factums. Les Jésuites, pressés sur cette malencontreuse Apologie d’un des leurs, avaient publié, sous le titre de Sentiments des Jésuites…, une justification ambiguë, pour dire qu’ils n’approuvaient pas l’Apologie, et qu’ils ne prenaient intérêt ni à défendre ni à combattre aucune de ces opinions arbitraires. Sur quoi Pascal, comme si nous l’entendions en personne, s’écrie :

« Quoi ! mes Pères, toute l’Église est en rumeur dans la dispute présente. L’Évangile est d’un côté, et l’Apologie des Casuistes de l’autre. Les Prélats, les Pasteurs, les Docteurs et les peuples sont ensemble d’une part ; et les Jésuites, pressés de choisir, déclarent (page 7) qu’ils ne prennent point de parti dans cette guerre. Criminelle neutralité ! Est-ce donc là tout le fruit de nos travaux, que d’avoir obtenu des Jésuites qu’ils demeureroient dans l’indifférence entre l’erreur et la vérité, entre l’Évangile et l’Apologie, sans condamner ni l’un ni l’autre ? Si tout le monde étoit en ces termes, l’Église n’auroit guère profité, et les Jésuites n’auroient rien perdu. Car ils n’ont jamais demandé la suppression de l’Évangile. Ils y perdroient. Ils en ont affaire pour les gens de bien. Ils s’en servent quelquefois aussi utilement que des Casuistes[1]; mais ils perdroient aussi si on leur ôtoit l’Apologie, qui leur est si souvent nécessaire. Leur théologie va uniquement à n’exclure ni l’un ni l’autre, et à se conserver un libre usage de tout. Ainsi on ne peut dire ni de l’Évangile seul, ni de l’Apologie seule, qu’ils contiennent leurs sentiments. Le dérèglement qu’on leur reproche consiste dans cet assemblage, et leur justification ne peut consister qu’à en faire la séparation, et à prononcer nettement qu’ils reçoivent l’un et qu’ils renoncent à l’autre…
« Tout ce qu’ils ont donc gagné par leur Écrit, est qu’il

  1. Quelle plus cruelle ironie de dire par manière de concession que les Jésuites ne laissent pas de se servir quelquefois aussi de l’Évangile, de s’en servir utilement !