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LIVRE TROISIÈME.

grand matin dans l’hôtel de Bonair[1], rue Sainte-Geneviève au faubourg Saint-Marcel, appartenant à M. Pelletier Des Touches, retiré depuis longtemps avec M. de Saint-Cyran[2], et qui est le lieu où cet abbé a accoutumé de loger lorsqu’il vient à Paris. La porte de derrière fut gardée par ordre de ce Lieutenant, et environnée de grand nombre d’archers dès quatre heures du matin ; mais il ne trouva dans la maison que M. et mademoiselle Veyras, qui y demeuroient actuellement. Il visita fort exactement tous les appartements de la maison, parce qu’il y cherchoit une imprimerie qui ne s’y trouva pas… Un procédé si extraordinaire et si violent surprit tout le monde ; mais ceux qui tâchèrent d’en découvrir le motif surent que la cause essentielle étoit que M. le Chancelier avoit été persuadé par les Jésuites que les disciples de saint Augustin avoient une imprimerie, et que l’on y travailloit à une histoire des Assemblées de Sorbonne au sujet de la Censure contre M. Arnauld, laquelle seroit capable de perdre de réputation ce Chef de justice dans toute la postérité. Ce qui pouvoit servir de fondement à ce faux soupçon étoit que M. le Chancelier pouvoit avoir su que l’on avoit vendu une presse depuis quelque temps ; car on assuroit que les amis du cardinal de Retz l’avoient achetée et s’en étoient servis pour y faire imprimer les dernières pièce qui avoient été publiées pour sa défense. On sut aussi, par le moyen de la femme de ce Lieutenant du Prévôt de l’Ile, que son mari devoit aller en plusieurs autres maisons pour ce même sujet.
« M. d’Andilly, ayant été sensiblement touché d’une si étrange équipée, s’en plaignit peu après par une grande lettre qu’il écrivit à M. de Priezac, conseiller d’État, pour la faire voir à M. le Chancelier, chez lequel il logeoit Il représentoit fortement cette violence, protestant que ses amis et lui défendroient toujours la doctrine de l’Église

  1. Ou Bonnaire, comme l’écrit Dom Gerberon, Histoire générale du Jansénisme, tome II, page 373. L’abbé de La Croix, dans sa Vie de M. de Beaupuis, appelle cette maison Bel-Air. Peu importe.
  2. M. de Barcos. — Voir sur M. Le Pelletier Des Touches précédemment notre tome I, p. 430,