Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
159
LIVRE TROISIÈME.

Le petit troupeau broute de mauvaises herbes, mais il ne s’écarte point. » Pourtant il n’était pas sûr de l’entière et inviolable fidélité de tous autant que de celle de M. d’Andilly, et à cette date il n’avait pas tout à fait tort[1]. L’intrigue opiniâtre de Retz revendiquant l’archevêché de Paris, et s’appuyant à cet effet du parti janséniste, venait à la traverse, et compromettait l’innocence politique de Port-Royal. Quoi qu’il en soit, Mazarin, au fond, redoutait peu cette sorte de Fronde ecclésiastique qui succédait à l’autre ; et il n’était pas fâché sans doute de voir s’y occuper et s’y user des passions qui, la veille, étaient plus dangereusement employées. S’il en poursuivait à bon droit l’extinction, c’était politiquement et sans

  1. Saint-Gilles, par exemple, dans son Journal manuscrit, a trouvé moyen d’intercaler, au milieu des particularités qui intéressent le plus Port-Royal, l’article suivant qui sent d’une lieue le frondeur : « Levée du siège de Valenciennes et de 32 Édits (9 août 1656).
    « C’est une chose étrange comme l’on s’est universellement réjoui en toute la France, mais surtout dans Paris, de la levée du siège de Valenciennes, où M. le Prince (de Condé), à la tête de l’armée du Roi d’Espagne, a forcé nos lignes presque sans résistance, a pris prisonnier le maréchal de La Ferté-Seneterre, gouverneur de Lorraine, grand tyran, défait entièrement le régiment des Gardes, et pris très-grand nombre de prisonniers, avec presque tout le canon et bagage.
    « Le Clergé, la Justice, et tout le peuple a témoigné grande joie de cet accident, parce que les uns et les autres étoient menacés d’oppression. On disoit publiquement que, si nos troupes eussent eu l’avantage, on devoit faire passer au retour de la campagne plusieurs Édits, les uns disent 32, les autres 60, dont l’un étoit celui des Aisés, qu’on disoit déjà se monter à 50 millions.
    « Cela a donné lieu de faire, ou au moins de dire qu’on a fait un placard qu’on m’a assuré avoir été affiché la nuit à la porte de M. le Chancelier, en ces termes qui font allusion au cri qu’on fait des Gazettes par les rues : Voici la défaite de 32 Édits par M. le Prince devant Valenciennes. »

    On peut dire, je le sais, pour atténuer ce cri de joie très-peu royaliste, que l’entraînement était partagé, que c’était du moins un prince français qui commandait les Espagnols, qu’on était au lendemain de la Fronde ; mais, quoi qu’on fasse, il y aura toujours loin de ces sentiments qu’accueillait Saint-Gilles, à ceux qu’affichait M. d’Andilly.