Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
141
LIVRE TROISIÈME.

à soi et aux siens ; qui est comme un petit souffle demi-parfumé, demi-empesté, mortel à l’âme chrétienne aussi bien qu’à l’âme naturelle, empoisonneur de Plutarque comme de saint Paul, et qui, sous air de douceur, et en l’adulant, convoite éternellement le royaume de la terre ; — pour le reconnaître, cet esprit, et le proclamer vrai chez Pascal, nous n’avons pas besoin de l’aller étudier bien loin dans le passé : tous ceux qui l’ont vu, qui l’ont senti à l’œuvre, qui l’ont haï en France sous la Restauration à laquelle il fut si homicide, ceux-là, à travers toutes les politesses de détail, toutes les exceptions et les réserves légitimes, lui sauront dire, en le démêlant dans son essence et en le détestant jusqu’au bout dans sa moindre haleine : Toi, toujours toi !

Pascal, en son temps, l’avait senti tout en plein, circulant partout et régnant ; il en avait essuyé le fléau dans la personne de ses amis sacrifiés : de là la guerre à mort qu’il lui déclara[1].

  1. Voltaire n’a rien soupçonné de ce sentiment sérieux, lorsqu’après avoir décerné aux Provinciales tous les éloges littéraires imaginables (Siècle de Louis XIV, chap. XXXVII), il ajoute lestement par des paroles souvent citées : « Il est vrai que tout le livre portait sur un fondement faux : on attribuait adroitement à toute la Société les opinions extravagantes de plusieurs Jésuites espagnols et flamands : on les aurait déterrées aussi bien chez des Casuistes dominicains et franciscains. On tâchait dans ces Lettres de prouver qu’ils avaient un dessein formé de corrompre les mœurs des hommes, dessein qu’aucune secte, aucune société n’a jamais eu et ne peut avoir. Mais il ne s’agissait pas d’avoir raison, il s’agissait de divertir le public. » L’élève du Père Porée et l’auteur du Mon dain s’accommoderait encore mieux, on le conçoit, des Jésuites que des Jansénistes. Il serait aisément de l’avis de cet homme d’esprit qui disait : « Les Jésuites sont, après tout, ceux qui ont tiré le meilleur parti d’une mauvaise religion, en l’éludant ou plutôt en la corrompant ; car c’est ce qui caractérise le mauvais, de ne redevenir un peu tolérable que quand il est corrompu. » — Les Jésuites ont procédé en bien des cas comme si au fond le Christianisme, dans son principe, était faux. — Quant à Voltaire, on ne sait que