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PORT-ROYAL

On suivrait, à tous les moments, une lignée d’écrivains dans le genre noble et solennel, qui ne savent pas à quel point ils relèvent de Balzac comme de leur chef en notre littérature ; c’est d’eux que Pascal a dit : « Il y en a qui masquent toute la nature. Il n’y a point de roi parmi eux, mais un auguste monarque ; point de Paris, mais une capitale du royaume. » On retrouve de ces esprits même aux époques qui s’en moquent le plus, et parmi ceux qui s’en moquent le plus fort.

Mais au moral principalement, Balzac a laissé ou du moins il représente tout à fait une postérité considérable d’écrivains plus ou moins ouvertement infatués et glorieux, qui pensent et vont parfois jusqu’à dire qu’écrire est tout, et que parmi ceux qui écrivent ils sont tout eux-mêmes. On peut (et nous venons de le faire) étudier cette affection particulière d’auteur chez Balzac en qui elle sort par la peau, comme on étudie une maladie dans un amphithéâtre public sur un sujet exposé[1]

    hasards, des bonheurs et comme des douceurs d’expression, qui ne se retrouvent pas dans les autres. Balzac et les écrivains de cette forme, même Buffon, même Jean-Jacques, n’ont guère jamais de ces douceurs.

  1. Ce jugement était porté quand un autre, tout contraire, d’un critique éminent (M. Joubert) est venu me jeter dans une sorte de doute. Comme ce que je fais ici avant tout n’est point du Jansénisme, ni même de la littérature, mais de la morale, et que je tâche en tous sens de saisir le vrai, je donnerai ce jugement qui me contredit et peut-être me juge. M. Joubert s’était fort occupé de Balzac dès 1808. L’espèce de renaissance littéraire d’alors en fut une pour Balzac en effet ; les Pensées, publiées par Mersan, le remirent sur le tapis. On s’en entretenait en un monde d’élite ; M. Molé, jeune, dans une matinée de Champlâtreux, le commentait, livre en main, aux personnes de la société ; vers ce temps, M. Joubert, de cette plume d’or qui ne le quittait pas, écrivait :

    — « Balzac, un de nos plus grands écrivains, et le premier entre les bons si on consulte l’ordre des temps, est utile à lire, à méditer, et excellent à admirer ; il est également propre à instruire et à former par ses défauts et par ses qualités. »

    « Quelquefois il outre-passe le but, mais il y conduit : il ne