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LIVRE DEUXIÈME.

langue françoise, qu’il ait pu tracer un si beau chemin à la netteté du style. » Il sut vouloir ce grand chemin qui devait conduire à Louis XIV ; il avait le sentiment de l’unité dans les choses de l’esprit. Dans une lettre qu’on a de lui à Malherbe, il disait, à propos d’une émeute de critiques : « Il ne faut pas laisser faire de ces mauvais exemples, ni permettre à un particulier de quitter la foi du peuple pour s’arrêter à son propre sens, et, si ce désordre continue, les artisans et les villageois voudront à la fin réformer l’État. » Balzac est volontiers pour le pouvoir absolu en littérature comme dans le reste : cela sent le contemporain de Richelieu. Il aida sur sa ligne à la même œuvre. Il n’était, non plus que Malherbe, pour la littérature libre telle qu’elle fleurit au seizième siècle, pour la littérature anarchique telle qu’elle s’enhardit un moment avec Théophile, mais bien pour la souveraineté de la Cour et de l’Académie, dont il se supposait (cela va sans dire) le premier ministre.

Cette idée même, qui formait peut-être sa seule conviction sérieuse, lui donne, au milieu de ses ridicules, quelque chose d’assez digne et d’imposant par la tenue constante du rôle. L’élévation et la grandeur, dit encore Bayle, étaient son principal caractère. Il a, comme Malherbe, du gentilhomme en lui ; c’est un gentilhomme de l’éloquence : il en avait occupé de bonne heure le trône ; il est plein de la majesté du genre et n’y voudrait pour rien déroger, comme un roi ou une reine de théâtre qui reste dans son personnage jusqu’au bout, comme mademoiselle Clairon, qui portait jusque dans la misère, jusque dans sa chambre à coucher sans feu, un front haut et à diadème. Il avait cette foi naïve aux Lettres qu’ont eue également Cicéron et Pline le Jeune, et qui ne les a pas trompés. C’est là le beau côté de Balzac, et ce qui le maintient debout à l’entrée de notre