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LIVRE DEUXIÈME.

lerai, s’il vous plaît, en ce pays-là, ni Balzac, ni Narcisse, ni Aminte ; je ne prendrai ni ne recevrai aucun autre nom de guerre qui puisse me découvrir. Mon dessein n’est pas de donner réputation à ma retraite : ce seroit vouloir être obscur avec éclat… Il faut qu’étant auprès de vous, je sois un Secret entre vous et moi, et un Énigme pour tous les autres. »

La peur, le désir, la prétention continuelle de Balzac, c’était d’être poursuivi de lettres et de ne pouvoir se dérober aux charges de la célébrité ; il y revient dans la Dissertation XXIe, avec une naïveté incomparable et qui met en son plus beau jour ce genre de fatuité, encore aujourd’hui assez commun :

« Que ce bruit et cette réputation sont incommodes à un homme qui cherche le calme et le repos ! il est la butte ( il fait semblant, pour se mieux caresser à la troisième personne, de traduire une pièce latine, et ajoute entre parenthèses qu’il traduit fidèlement), il est la butte de tous les mauvais compliments de la Chrétienté, pour ne rien dire des bons, qui lui donnent encore plus de peine. Il est persécuté, il est assassiné de civilités qui lui viennent des quatre parties du monde : et il y avoit hier au soir, sur la table de sa chambre, cinquante lettres qui lui demandoient des réponses, mais des réponses éloquentes, des réponses à être montrées, à être copiées, à être imprimées… »

Tel continuait d’être l’homme qui se croyait en train de se convertir. Et il se convertissait peut-être en effet, autant que cela était en lui. Cette Dissertation à Dom André laisse percer, vers la fin, des accents élevés, quelque chose de sérieux à sa manière, et qui parait senti :

« Quand j’ai du peuple et des auditeurs, je crie de toute ma force : Sortons des villes, allons habiter la campagne, non-seulement pour l’établissement de notre repos, mais aussi pour l’assurance de notre salut. Cherchons Jésus-Christ